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Libre propos : l’infertilité masculine dans le couple, Un sujet tabou au Gabon ?

L’infertilité touche de plus en plus de couples. Au Gabon, lorsqu’un couple se marie ou décide de vivre ensemble, on attend que le fruit de cet amour soit « concrétisé » par l’arrivée d’un enfant. Très souvent, et sans surprise, ce sont les femmes qui sont les premières montrées du doigt quand l’enfant se fait attendre dans le couple. Et lorsque cet enfant tant attendu n’arrive pas, elle subit la honte, des humiliations, des injures, la peur du rejet, de la polygamie et même du divorce.

 Pas d’enfants, pas de sympathie et encore moins de place dans la belle-famille. Pourtant, femmes et hommes sont en cause dans les responsabilités des problèmes d’infertilité. La stérilité masculine reste encore difficilement avouable. L’entourage amical et familial est plus rarement informé de l’infertilité du couple lorsqu’elle est d’origine masculine. Aussi avons-nous voulu savoir, pourquoi parle-t-on très peu de l’infertilité de l’homme ? Qu’est-ce qui poussent les hommes à cacher leur infertilité à leur partenaire ?

L’infertilité masculine est due à un trop petit nombre de spermatozoïdes

Il faut dire que l’infertilité masculine qui est différent de la stérilité est due à un trop petit nombre de spermatozoïdes. Elle se définie comme l’incapacité à concevoir après 12 mois de rapports sexuels normaux réguliers et non protégés. Pour répondre à nos interrogations, nous avons mené notre enquête auprès de 21 personnes (soit respectivement 13 femmes et 8 hommes), âgées de 20 à 62 ans et tous fertiles. En effet, il nous a été difficile de trouver des hommes concernés par notre problématique.

En revanche, l’effectif des femmes est supérieur à celui des hommes, parce que contrairement à ce à quoi on s’attendait, elles ont été plus réceptives par notre préoccupation. Est-ce à croire que les hommes ne parlent pas souvent de leur infertilité ! Pour préserver l’identité des enquêtés, nous leur avons attribué des prénoms fictifs. Il ressort alors de l’ensemble des entretiens que la majorité d’entre eux sont célibataires (13/21) et près de la moitié sont salariés (10/21).

Pourquoi ce tabou autour de l’infertilité masculine ?

A la question de savoir pourquoi parle-t-on très peu de l’infertilité chez l’homme dans le couple, toutes les femmes ont un point commun à savoir que le problème de fertilité masculine en Afrique en général, et au Gabon en particulier est tabou : l’infertilité comme l’infidélité chez l’homme constituent des sujets tabous en Afrique (Ernestine, 41 ans, salariée concubinage) ; C’est un sujet tabou dans notre société (Maëva, 29 ans, célibataire, étudiante et Pélagie, 40 ans, célibataire, chômage) ; c’est tabou au Gabon…(Camélia, 45 ans, célibataire, fonctionnaire).

Certains discours montrent que ce tabou relève de plusieurs explications comme la honte : … les hommes ont honte de parler de ça (Maëva) ; … ils ont honte, donc ils cachent (Anouchka, 22 ans, célibataire, sans emploi) ; … ils cachent à cause de la honte (Aude, 38 ans, mariée, sans emploi). Le problème de virilité est également soulever par les femmes interrogées pour justifier les raisons du tabou. Pour Pélagie : L’homme représente la force physique, la virilité, donc parler d’infertilité s’avère inconcevable. Camélia estime quant à elle que : Selon la société traditionnelle, l’infertilité de l’homme ne peut pas être chanté comme celle de la femme. Se serait bafoué sa virilité (Camélia).

Il se trouve donc que derrière les questions de fertilité souvent inconsciemment sont associées la virilité ou la puissance sexuelle. D’autres expliquent ce tabou par des considérations de la société africaine qui mettent donc en cause la femme lorsqu’elle n’arrive pas à procréer : … la société pense que seules les femmes souffrent de ce problème (Amélie, 32 ans, célibataire, enseignante) ; tout le monde pense que c’est la femme qui est à l’origine de l’infertilité (Cornelia, 45 ans, célibataire, agent municipal) ; On croit que comme c’est la femme qui porte les grossesses, c’est donc elle, qui est infertile (Romaine, 51 ans, célibataire, chargée d’étude).

L’homme est vu et se considère comme celui qui est virile

 Justement, pour la majorité des hommes rencontrés (7/8), l’infertilité provient de la femme et non d’eux. Les quelques discours qui suivent le démontrent : En Afrique, tout homme est fertile mais l’infertilité est une affaire de la gente féminine (Joseph, 27, concubinage, étudiant) ; C’est rare chez les hommes, c’est plus un problème de femmes ça (Antoine, 44 ans, marié, enseignant) ; Très peu d’hommes sont infertiles, cela concerne beaucoup les femmes (Etienne, 30 ans, célibataire, étudiant). Seul Mathurin (62 ans, divorcé, retraité) semble ne pas rejeter ce fardeau social à la femme : On parle très peu de l’infertilité de l’homme parce qu’on croit qu’elle ne vient que de la femme. L’homme est vu et se considère comme celui qui est virile alors comment accepter être la source de cette infertilité dans le couple !

Toutefois, comme nombre de femmes, certains hommes avouent que c’est aussi un sujet honteux : C’est un sujet compliqué et honteux pour tous les hommes (Yorick, 37 ans, concubinage, chauffeur de clando) ; L’infertilité masculine est source de honte (Jérémie, 55 ans, célibataire, pétrolier ; Georges, 39 ans, concubinage, taximan, Joseph et Marc) et même de dévalorisation, renchérit Jérémie. Nous voyons ici que les hommes ont du mal à se remettre en cause. En effet, un homme capable de se mettre en érection et qui a une vie sexuelle normale ne peut être soupçonné d’infertile. Aucun homme sexuellement virile, ne se sent concerné par l’infertilité parce qu’il pense effectivement, que la responsabilité de cet handicap incombe à la femme.

Les raisons qui poussent l’homme à cacher son infertilité à sa partenaire

Dans la plupart des discours de ces femmes, on note une diversité de sentiments. Le sentiment de peur, par exemple, est énormément exprimé par ces dernières pour justifier la délicatesse des hommes à ne pas révéler leur infertilité à leur conjointe : La peur de la réaction de sa partenaire (Caroline, 35 ans, célibataire, psychologue) ; la peur que la femme le laisse tomber (Aude) ; la peur de l’humiliation et des regards de la société (Romaine) ; la peur de perdre l’être aimé (Pulchérie, 39 ans, concubinage, assistante sociale) tout simplement.

On distingue aussi dans les discours de celles-ci, un sentiment : de manque de respect : il pense qu’il ne sera plus respecté… (Amélie et Cornélia) ; … parler de son infertilité à sa compagne se serait perdre son respect aux yeux de celle-ci et même de la société (Pélagie) ; d’infériorité : … un homme qui ne peut pas procréer se sent inférieur, complexé et incapable (Amélie) ; de diminution sexuelle : …l’infertilité en plus d’être tabou atteint l’homme dans son égo. Il diminue son côté viril et son autorité (Ernestine) ; un homme qui ne peut pas faire d’enfants se sent diminué virilement (Pulchérie) ; de dévalorisation : Pour l’homme, c’est rabaissant et juger comme une faiblesse de parler à sa partenaire de son infertilité (Pélagie) ; et même de honte : Il a honte d’en parler (Sophie, 25 ans, sans emploi, célibataire et Pulchérie).

Contrairement aux femmes, les hommes qui se sentent atteints dans leur virilité et qui optent pour la non transparence quant à leur infertilité dans le couple le justifient en ces termes : Les hommes le font par orgueil (Etienne), par fierté pour ne pas être traités de sous-homme par leur partenaire (Joseph). Pour Marc (20 ans, célibataire, étudiant) et Antoine : c’est pour ne pas perdre sa partenaire qu’ils préfèrent ne pas le révéler. Si l’on en croit les discours qui suivent, il apparaît qu’autant que les femmes, il y a des hommes, bien que minoritaire, qui les rejoignent pour les raisons que voici : les hommes cachent leur infertilité à leur partenaire par peur de se sentir diminués nous dit Mathurin ou de finir seul déclare Georges.

Ne pas faire de l’infertilité un sujet tabou mais l’aborder pour éviter le déchirement du couple

Le problème d’infertilité masculine, au Gabon, est réellement un sujet tabou qui pèse comme une menace ou une épée de Damoclès sur le devenir du couple. Elle reste, chez l’homme, une honte et elle est minutieusement cachée. Néanmoins, il faut faire reculer l’ignorance de ce handicap. L’infertilité n’est pas une condamnation à vie et elle n’est pas seulement liée à la femme. Que les hommes qui en souffrent se débarrassent de l’orgueil, de la honte, de la peur et de tous préjugés pour se confient à leur partenaire. Que ceux qui cachent encore leur infertilité à leur partenaire prennent également leur courage pour dire la vérité.

Il est vrai que dire la vérité, c’est prendre le risque de perdre l’autre, de se retrouver seul ou d’être abandonné. Mais ne pas dire la vérité c’est également prendre le risque, cette fois ci, de devoir continuer de mentir, puis le risque que cette vérité, accompagnée de son mensonge soient dévoilés. Alors, il est préférable d’être honnête envers l’autre en disant la vérité. Car, la vérité apaise, même si elle engendre les conflits. L’infertilité est très stigmatisée en Afrique en général, et particulièrement au Gabon, à savoir qu’on ne pense pas toujours à la cause médicale en première intention mais à une malédiction ou à un sort qui a été jeté. Les couples se tournent donc d’abord vers les guérisseurs traditionnels ou tradithérapeutes au lieu de recourir à l’aide d’un médecin (urologue).

L’acceptation et la solution

Que les hommes acceptent leur infertilité mais aussi de consulter un médecin. La conjonction des deux médecines (traditionnelle et moderne) pourrait offrir des pistes de solutions au problème. Avec la médecine moderne, le couple pourrait entamer un autre parcours qui est celui, pourquoi pas, de la Procréation Médicalement Assistée (PMA). Il s’agit de l’insémination artificielle, qui consiste à ce que des médecins mettent en contact des ovocytes et des spermatozoïdes dans le cadre de la fécondité in vitro (FIV). Cette innovation technologique est donc au cœur d’une mondialisation des techniques et des savoirs dont l’Afrique n’est pas exempte.

Celle-ci se fait désormais dans certaines cliniques privées, par exemple, au Gabon, au Cameroun, au Maroc, au Ghana, en Afrique du Sud, en Tunisie, au Sénégal ou encore au Togo. D’autres pays sont en cours ou ne vont pas tarder à installer de telles cliniques de la fertilité. Ladite technique a été mise en place pour venir en aide aux couples en difficultés (problèmes d’infertilité ou de stérilité) à avoir un enfant. De nombreux couples se déplacent vers ces centres selon leur réputation ou leur capacité à les accueillir.

D’autres couples s’orientent vers l’étranger (par exemple, la France, la Belgique, l’Espagne ou les Etats-Unis) lorsqu’ils présument que cette technique est mieux développée en Europe ou qu’elle sera donc assortie d’une meilleure réussite. Evidemment, l’investissement financier est très coûteux ce, d’autant plus que contrairement en Europe, cette technique n’est pas prise en charge en Afrique et encore moins au Gabon. En Afrique du Sud, le gouvernement a décidé de prendre en charge une partie des frais médicaux des couples qui souhaitent avoir un enfant par PMA. Vivement que le Gabon suive cet exemple.

Dr. Judith Rachel RENAMY ZIZA SOUGOU

Psychologue du travail, Chargée de recherche (CAMES)

IRSH/CENAREST

 

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