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Légalisation du mariage coutumier au Gabon : Entre espoir et scepticisme

Cela fait déjà quelques semaines que le Sénat gabonais a approuvé la légalisation du mariage coutumier ; c’est un souhait qui est donc sur le point de se concrétiser. « La célébration des mariages coutumiers dans notre pays témoigne de l’intérêt des Gabonais lui accordent. Cette adhésion massive et populaire oblige le législateur à mettre en place un cadre légal en la matière », explique Ernest Ndassiguikoula, sénateur du département de la Bayi – Brikolo et initiateur de ce projet de loi.

Ainsi, cette proposition « a pour objet de combler ce vide juridique afin de concilier nos pratiques dans ce domaine avec la loi. En effet, le mariage coutumier n’offre pas aux conjoints les avantages prévus par le code civil », poursuit – il. A travers cette réforme, le Gabon fait le choix de préserver ses mœurs et coutumes, rites et traditions, tout en les adaptant aux exigences qu’implique la modernité. Il s’agira, entre autres, d’officialiser la pratique de la dot, interdite dans le processus du mariage depuis mai 1963. A la suite du législateur colonial, celui national, en interdisant son versement et sa réception, considérait que la dot portait atteinte aux droits de la femme, ce d’autant plus qu’il était possible d’épouser une qui n’était pas encore pubère. La légalisation du mariage coutumier vise donc à lever l’interdiction du versement et de l’acceptation de la dot ; interdiction, d’ailleurs, que les Gabonais ont très peu, ou pas du tout, respectée. En attendant le vote des députés, si la proposition de loi est adoptée par la représentation nationale, on aurait au Gabon, deux types de mariage : le mariage civil, régi par le code civil, et le mariage coutumier, consacré par la coutume.

Plusieurs dispositions peuvent faire débat

Si la visée des vénérables sénateurs est louable, il n’en demeure pas moins que le projet pourrait faire l’objet de quelques améliorations. D’abord, il faudrait créer un document faisant office de procès – verbal, que l’on pourrait retirer dans les mairies ou les préfectures de police, par exemple. Ensuite, lors de la célébration du mariage coutumier, la présence d’un officier d’état civil devrait être requise, non pas pour l’officier mais pour le constater. Par ailleurs, un seuil à ne pas franchir devrait être fixée pour le versement de la dot : cela permettrait d’éviter certaines dérives. D’une part, l’article 15 et suivants de la loi portée par le sénateur Ndassiguikoula disposent que les mariages coutumiers célébrés antérieurement à la loi devront l’être de nouveau, à titre symbolique, pour bénéficier des avantages de ladite loi ; mais il pourrait entraîner des frais supplémentaires. Certes, l’article 18 du code civil dit que la loi nouvelle ne dispose que pour l’avenir et n’à point d’effet rétroactif. Cependant, la règle de droit précise que tout principe comporte des exceptions : un mariage ayant déjà eu lieu peut se prouver par divers moyens (audio, photos, vidéos, etc.).

D’autre part, les effets du mariage coutumier que propose le sénateur Ndassiguikoula sont limités, du vivant des époux, « à la qualité d’ayant – droit pour l’accès aux soins de santé et aux prestations de sécurité sociale » et « au bénéfice des titres de transport pour congés et affectation » ; au décès de l’un des époux, « au droit à la pension du survivant ». Rien n’est dit sur les rapports personnels ou pécuniaires entre époux. Cette limitation des effets du mariage conduit à se demander si la proposition du sénateur Ndassiguikoula consacre un véritable mariage, avec tous les droits et devoirs qui en découlent, aussi bien dans les rapports entre époux que ceux avec les enfants et les familles respectives ; c’est comme si les époux n’accédaient pas véritablement à ce statut. Or, c’est surtout pour cette raison que ce texte est attendu, afin d’empêcher que des mésaventures, comme celle vécue par la veuve du commandant Mbina, disparu tragiquement il y a quelques mois, ne se reproduisent. Pour finir, il faudrait imposer le choix de l’option et du régime matrimonial (polygamie/monogamie, communauté/séparation des biens) ; et publier les mariages célébrés : cela permettra d’entériner la jurisprudence de janvier 2020, relative au fait qu’un homme engagé en monogamie, n’a pas le droit de s’engager avec une autre femme, même à la coutume.

En définitive, il ne faut pas oublier que la conception du mariage dépend de celle de la famille. Autrement dit, on ne peut réformer le mariage sans avoir fait le choix d’une conception de la famille. Par ailleurs, si l’on doit tenir compte de nos « valeurs sociales profondes et traditionnelles », il ne faut pas oublier que la constitution et les textes, à valeur universelle, contenus dans son préambule, prescrivent l’égalité entre les citoyens. Il y a donc une alchimie à réaliser entre le respect de la constitution et la prise en compte de nos valeurs, étant entendu que toutes les normes inférieures doivent être conformes à la constitution !!!!

 

Yohan Freddy NGUEMA ZUE    

 

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