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Emmanuel Macron au Gabon : entre affairisme climatique et colonialisme vert

Du 2 au 3 mars, le Gabon et la France ont organisé conjointement un sommet consacré à la protection des forêts tropicales. Belle opération de marketing politique pour Ali Bongo et le Gabon, émirat pétrolier d’Afrique centrale désormais doublé du statut enviable de « superpuissance verte pour la conservation de ses ressources naturelles ».

 

Gabon : superpuissance verte et sous-développement chronique

Superpuissance verte. Ali Bongo s’en est vanté dans un tweet publié au lendemain d’un sommet dont la France était le véritable cerveau : « Le monde a pris conscience que sans la forêt, le climat et la biodiversité sont en péril. A chacun désormais de faire sa part. Et de tenir ses engagements ».

Marc Mvé Bekale, universitaire-essayiste © D.R

Faire sa part ? Encore une déclaration qui relève de l’imposture. Seuls les aveugles se laisseront abuser. Le fait est que l’état de préservation de la forêt gabonaise ne doit pas grand-chose à la gouvernance des Bongo, mais davantage à trois facteurs essentiels : la faible démographie du pays, la difficulté d’exploitation de la forêt qui nécessite de lourds investissements et un sous-développement chronique. En Europe, aux Etats-Unis et ailleurs, l’environnement naturel a été précisément détruit ou réorganisé pour des raisons contraires. D’où une empreinte carbone extrêmement élevée, dont les pays développés vont chercher des compensations en investissant dans la préservation des forêts tropicales.

En décembre 2022, le Gabon a obtenu la certification RDD+ lui permettant de commercialiser ses stocks de carbone, estimés à plus de 90 millions de tonnes. Pourtant une enquête publiée la veille du « One Forest Summit » par l’ONG anglaise, Rainforest Foundation, conteste la fiabilité de ce chiffre et pense que les crédits carbone du Gabon n’ont vraisemblablement aucune valeur (« worthless ») en raison de la méthodologie utilisée pour les faire valider. Dans son dossier de certification, le pays a mis en avant d’innombrables actions (parfois invérifiables, voire imaginaires telle la « capacité de mise en œuvre opérationnelle fondée sur la science »), allant de « l’exploitation pour sauver » à la « création des parcs nationaux ».

CREATION. Ici le terme apparaît impropre dans la mesure où plus de la moitié du territoire gabonais constitue un immense parc naturel inhabité, dont treize zones ont été tout simplement délimitées pour être désignées « parcs nationaux ». L’enjeu initial de ce projet n’était d’ailleurs pas strictement écologique. Il visait davantage au lancement du tourisme vert au Gabon à l’instar de ce qui a cours au Kenya ou en Afrique du Sud. L’incapacité des gouvernants gabonais à développer une industrie touristique les a ensuite, par opportunisme, poussé à exploiter l’angoisse climatique du monde moderne en se posant comme Père Noël de la forêt dans l’espoir de sa marchandisation. Ali Bongo n’est guère mû par la volonté de « faire sa part » en faveur du climat. Avec l’épuisement et l’impopularité mondiale de l’or noir, une des énergies fossiles les plus polluantes, l’or vert est devenu une nouvelle aubaine dont chaque Gabonais, au regard de l’état de délabrement du pays, peut anticiper la destination.

Emmanuel Macron et le « One Forest Business »

Du côté gabonais, le but du sommet était clair : outre le ripolinage de l’image d’un chef d’Etat aux capacités amoindries, Ali Bongo inscrit désormais la forêt dans la stratégie de consolidation de son pouvoir politique et financier.

Qu’en est-il de la France ? Quels avantages avait-elle à tirer de la co-organisation du sommet de Libreville ?

La société civile, hostile à la présence de Macron au Gabon, s’est fourvoyée en y voyant une manière d’adoubement du candidat Ali Bongo. Un tel soutien n’aurait d’ailleurs pas manqué de sens au regard de la décroissance de l’influence de la France dans son ancien pré carré où elle est confrontée, depuis des décennies, à son grand remplacement par la Chine, la Russie et quelques puissances mineures. On assiste ainsi à une nouvelle ère du Scramble for Africa, portée par l’économie du futur dont les principales articulations apparaissent indissociables des enjeux climatiques. D’après les estimations expertes, le business climat représentait 67,3 milliards de dollars en 2022 et se situerait à plus de 200 milliards en 2027. Dans cette perspective, la France et ses grandes entreprises du CAC 40 ont imaginé pour les pays du bassin du Congo deux outils-clés en lien avec l’investissement climat : les « Partenariats de conservation positive » (PCP) et un marché de crédits carbone à très haute qualité environnementale et sociale destinée à rémunérer les pays vertueux en matière de gestion de la biodiversité et des écosystèmes forestiers. Le sommet de Libreville inaugure ainsi un nouveau produit de la finance verte appelé « certificats biodiversité » ainsi que le révèle le document final : « Les Etats engagés produiraient des « certificats biodiversité », qui pourront être achetés par des Etats souverains ou des acteurs privés à titre de contribution positive à la protection de la Nature. » [3]

L’avènement d’un tel marché, quid de sa récente décrédibilisation due à l’existence des « junk credit offsets » (« crédits carbone pourris ») ou « crédits fantômes », pose des questions (éthiques) majeures : si les pays vertueux doivent être récompensés pour les services rendus à mère Nature, pourquoi leur rémunération doit-elle obéir au mécanisme du marché, dont on sait qu’il attirera des investisseurs mus non par le seul souci climatique mais davantage par la volonté d’optimisation des gains sur les « certificats biodiversité » qu’ils auraient acquis ? Pourquoi inscrire la protection de l’environnement dans la logique d’investissement et de rentabilité ?

« Il ne fait rien pour rien », chante l’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly. Ainsi peut-on dire du voyage de Macron au Gabon. Sa logique marchande semble prégnante dans les premiers projets annoncés par les entreprises, en majorité française [voir le « Plan de Libreville »].

Apparaît emblématique à cet égard, l’annonce faite par la filière cosmétique française Cosmetic Valley. Celle-ci a proposé une dotation financière de plus de 500 000 euros pour l’étude de la « cosmétopée » forestière du bassin du Congo. Outre l’allocation des bourses pour les stages et la recherche, ce financement aidera également au « recensement par les acteurs locaux des ressources génétiques végétales issues de la forêt et leurs usages traditionnels pour la protection et la beauté de la peau et des cheveux. »

Mot-centaure, la « cosmétopée » désigne le recensement détaillé des usages des plantes dans l’industrie de la beauté à partir des savoirs traditionnels. L’ouvrage d’André Raponda Walker et de Roger Sillans, Les plantes utiles du Gabon, en est quelque peu un exemple. Si l’idée de valorisation des connaissances autochtones est salutaire, il reste l’inquiétude de voir l’industrie cosmétique française s’en approprier par le dépôt des brevets en son nom et la création des produits qui l’enrichiront au détriment des populations africaines. La règle capitaliste du retour sur investissement sous-tend tous les projets annoncés par les entreprises au sommet de Libreville. La forêt constituant le nouvel eldorado de l’affairisme climatique, Macron est donc arrivé au Gabon porteur d’un paradigme économique novateur : plutôt que l’aide aux pays pauvres forestiers, il faut instaurer des instruments de marché conçus pour profiter davantage aux pays riches et aux investisseurs privés.

Le président français a annoncé une première contribution financière de son pays à hauteur de 50 millions d’euros. Difficile de dissocier la part de l’Etat et du privé dans cette somme lorsqu’on sait que de nombreuses grandes entreprises du CAC40 (Engie, Hermès, l’Oréal, Schneider Electric, Total, Amundi Asset Management, HSBC, Mirova et Société Générale) se sont regroupées au sein d’un club nommé « Business for Positive Biodiversity Club » en vue de mettre en place une équipe de spécialistes des marchés de « crédits biodiversité » dont le développement s’est accéléré ces derniers temps, alors que sa valeur ne cesse de croître.

Si le soutien politique à Ali Bongo a été indirect, il reste que le dernier périple de Macron est surtout lié aux énormes bénéfices à tirer du futur marché de produits financiers de biodiversité, en cela que la France, note Green Finance Observatory, préempterait et anticiperait toute mesure de régulation environnementale préjudiciable à ses entreprises. Ainsi Paris pourrait-il battre Londres en devenant le futur hub de la finance carbone et de la biodiversité.

One Forest Business: and the winners are

Ali Bongo. Potentat doté de pouvoirs illimités sans le moindre contre-pouvoir, il est sorti ragaillardi du sommet avec une consolidation de son régime autocratique, consolidation à laquelle s’ajoutent une visibilité internationale et des gains financiers personnels pour de potentiels investissements futurs.

Quant à la France, elle s’est placée sur la voie d’une captation ou d’un contrôle monopolistique du marché des « certificats biodiversité » des pays du bassin du Congo, enjeu majeur pour l’économie mondiale et l’avenir de l’humanité. Il s’agit là d’une belle contre-offensive au bénéfice des entreprises françaises dans une région où elles subissent les assauts de la concurrence chinoise et des pays émergents.

Alerte au colonialisme vert

Guillaume Blanc, auteur de l’ouvrage L’invention du colonialisme vert (2020), a montré comment l’idéologie de conservation de la vie sauvage s’est nourrie de la domination coloniale. En Afrique du Sud, la mise en place des parcs nationaux est l’œuvre des colons européens et de leurs descendants. Elle traduit la manière dont les Européens contrôlent l’Afrique et les Africains en les expulsant de leur terre.

La forêt et le Gabon font UN. La forêt constitue l’essence de l’existence des populations qui y vivent. Un espace vital absolu. Une source de nourriture quotidienne. Sa gestion ne doit en aucune manière obéir aux seules considérations scientifiques, climatiques et pécuniaires. Elle devrait surtout se faire dans le respect et la reconnaissance des cultures du pays.

La population gabonaise doit être prévenue. Et se battre. Le Gabon est peut-être le dernier « éden le plus intact d’Afrique » (cf. The National Geographic). Un pays écologiquement probe. Pas Ali Bongo qui se sert de la forêt sauvage aux fins d’engranger des gains politiques et économiques personnels. Le second risque, à terme, est de voir la logique capitaliste de marché déposséder les Gabonais de leur patrimoine, la forêt, dont la gestion obéira aux règles édictées par les investisseurs. Les populations doivent également s’organiser pour protéger leur pharmacopée, refuser le pillage de leurs connaissances traditionnelles. L’iboga en est un précédent. Des Etats-Unis aux Pays-Bas, cette plante aux vertus thérapeutiques majeures enrichit les laboratoires pharmaceutiques au détriment des populations qui l’ont découverte. A cet égard, il faut toujours avoir en tête cette remarque de l’ancien président kényan Jomo Kenyatta : « Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible. » Cela vaut pour les forêts des pays du bassin du Congo qui subissent aujourd’hui les assauts du colonialisme vert avec la complicité de leurs dirigeants en mal de reconnaissance internationale.

 

MARC MVE BEKALE

Universitaire & essayiste

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