Théâtre d’actes de violence comme les bagarres, les vols ou encore les braquages, les gares clandos sont par excellence des lieux de densité, de côtoiement, du frottement social où se nouent des rapports mettant en relation les clandos et les pouvoirs publics mais aussi les populations. Etudier les rapports sociaux dans les gares clandos n’est donc pas sans intérêt.
La convivialité dans les gares clandos
Cette étude permet de comprendre comment ces relations qui se construisent au quotidien peuvent-elles influencer le transport des populations. Aussi, les rapports que les clandos entretiennent entre eux et avec les autres acteurs n’oscillent-ils pas entre convivialité et tensions ? Consécutive aux rapports que les usagers entretiennent lorsqu’ils sont dans les lieux de transport, la convivialité dans les gares clandos résulte aussi de la capacité des clandos à travailler ensemble et avec les autres usagers.
Les gares clandos sont généralement dirigées par un président et un vice-président, épaulés par un chef de ligne et un régulateur choisis démocratiquement par leurs pairs. Deux types de gares permettent d’observer la convivialité : les petites gares et les gares de grande taille.
Les petites gares ou une convivialité convenue
Localisées généralement à proximité des habitations, les petites gares se confondent avec des terrains appartenant à des particuliers. Ces lieux de transport sont fréquemment contrôlés par de petits groupes de transporteurs, stables. Les règles qui régissent le fonctionnement des transports dans ces petites gares sont taillées à la mesure des membres du groupe. Plus ou moins convenue pour ne pas dire obtenue à marche forcée, la convivialité qui en découle se fonde sur les désidératas du groupe. Les petites gares ont tendance à fonctionner au gré du bon vouloir des transporteurs.
Les clandos peuvent dans une journée afficher un désintérêt pour une ligne estimée selon les besoins du moment non rentables et privilégier les parcours plus courts. Au pk 12 par exemple, les clandos qui desservent le château dans la zone Bikélé-Nzong se rabattent sur la destination lycée public de Bikélé. Il s’en suit pour les populations du château des temps d’attente plus ou moins longs, provoqués par le retard de l’arrivée des véhicules. D’autres gares comme carrefour Bambouchine, fonctionnent à peu près sur cette logique. Ce qui diffère des gares de grande taille comme nous allons le voir.
Les gares de grande taille ou une convivialité bienveillante
Développées sur des axes de transport très fréquentés comme les grands carrefours, les gares de grande taille connaissent une situation plutôt différente des petites gares. Ces infrastructures ont l’avantage d’accueillir un nombre important de véhicules et de recruter leurs transporteurs au-delà du périmètre immédiat de la gare surtout pour faire face à l’affluence de la population. La convivialité des rapports qui en résulte est le fait d’une relation d’interconnaissance plus ou moins approfondie allant de la fréquentation récurrente des gares clandos mais toujours assez distante à des formes de liens amicaux.
Certains clandos affirment même qu’à force de desservir ces lieux et de croiser les autres clandos, des relations amicales se créent. Ces relations touchent aussi la clientèle. La présence des véhicules à tout moment de la journée, facilite les déplacements des populations. A force de transporter les mêmes individus aux mêmes heures, clandos et voyageurs finissent par se connaître. Carrefour delta, échangeur de Nzeng-ayong, PK 12, carrefour SNI fonctionnent sur cette base.
Les gares clandos : des espaces sous tension et les conflits d’usage
Au centre d’enjeux importants, les gares clandos sont aussi des sources de conflits surtout lorsqu’il s’agit de prélever les taxes inhérentes à leur exploitation. Au titre des conflits vécus dans les gares clandos : les conflits d’usage et les conflits liés à la circulation routière.
L’exploitation des gares clandos oppose souvent les clandos aux autres usagers. Si les clandos sont à l’origine de la création de leurs gares, certaines d’entre elles se greffent à une station, une rue dans une cité. Pour cela, leur exploitation par les clandos empiète souvent sur celle des autres utilisateurs. A Owendo par exemple, la station pétro est presque souvent accaparée par les clandos pour débarquer leurs passagers. Ce qui a tendance à pousser les véhicules particuliers à s’approvisionner dans les stations voisines.
Cela provoque un manque à gagner au propriétaire de cette structure. Aux charbonnages, une gare clando a été créée sur une rue qui dessert la cité. La circulation automobile est rendue difficile pour les riverains véhiculés ou non qui sortent de la cité avec le stationnement des clandos. De temps en temps, des voix s’élèvent pour dénoncer sans succès cet état de fait.
À la caisse !
Les taxes constituent une autre source de conflit qui éclate très souvent entre les clandos et les agents assermentés de la Mairie. En effet, plusieurs clandos pensent que les taxes sont abondantes et leur coût élevé. Outre, le règlement de la taxe sur l’occupation de l’espace communal qui s’élève à 144 000 Frs, les clandos doivent s’acquitter de 20 000 Frs, taxe liée aux frais de parking. A cela, s’ajoute une taxe journalière de 500 Frs.
Les agents municipaux doivent identifier le nombre de véhicules opérant dans chaque gare. Leur présence n’est pas toujours appréciée des clandos qui, à tort ou à raison, pensent qu’ils sont pressurés par les pouvoirs municipaux alors qu’ils viennent en aide à l’Etat, débordé dans les transports de la population. Outre les conflits d’usage, les clandos connaissent aussi des conflits en lien avec la circulation routière.
Les conflits liés à la circulation routière
En sus des taxes relevées plus haut, s’ajoutent les contrôles effectués par les forces de l’ordre. Effectivement, l’exercice de l’activité clando impose des exigences que sont :
- une licence délivrée par le Ministère des transports qui précise la zone d’activité du clando.
- un permis D dit de transport en commun obligatoire à tout conducteur détenant un véhicule de transport d’au moins six personnes, le chauffeur non compris.
- une assurance du véhicule qui garantit la sécurité des passagers. Cette assurance s’élevait à 400 000 Frs, un coût déjà important pour un clando ne disposant pas d’assez de moyens.
- une visite technique obligatoire. La plupart des véhicules de transport clando dans un état défectueux plus ou moins avancé, ne peuvent pas répondre à ces contraintes techniques.
- une vignette, une patente, les accessoires du véhicule (cric, roue de secours, boite de pharmacie) complètent la liste demandée.
Le manque à gagner lié aux contrôles intempestifs
Ces exigences constituent un problème majeur, car pour mettre un véhicule en règle, il faut payer près du million si non plus. Ce qui représente un investissement difficile à rassembler après l’achat du véhicule. A entendre ces clandos, les contrôles constituent une perte d’argent dès lors qu’il faut payer même lorsque le véhicule dispose de tous les documents administratifs.
La démultiplication des contrôles entraîne souvent la fuite des clandos. Dans ce cas de figure, les voyageurs paient le lourd tribut parce que les voitures sont immobilisées le temps de la durée du contrôle, une façon pour les forces de l’ordre de montrer leur autorité.
En guise de conclusion
Lieux de densité, de côtoiement, du frottement social où se nouent des rapports mettant en relation les clandos et les pouvoirs publics mais aussi les populations, les gares clandos sont des lieux essentiels de transport. Les rapports qui s’y tissent peuvent dans une certaine mesure favoriser les déplacements populaires comme les bloquer. Malheureusement, les populations sont souvent victimes de ces relations. Ainsi, les rapports que les clandos entretiennent entre eux et avec les autres acteurs oscillent entre convivialité et tensions.
Guy-Obin BIGOUMOU MOUNDOUNGA
Géographe de l’Aménagement
Attaché de recherche
GREDS/IRSH/CENAREST