Avec la pièce de théâtre 1964 de Michel Ndaot, l’univers dramaturgique gabonais s’enrichit davantage en qualité et en quantité. Cette embellie s’est amorcée patiemment depuis les années 2000, c’est-à-dire à partir de la publication de Péronnelle de Ludovic Obiang. Aujourd’hui, c’est un truisme de dire que les dramaturges gabonais sont sortis de leur aphonie pour enfin habiter l’espace théâtral continûment en faisant fi de cet esprit de confidentialité qui naguère, semblait les tétaniser. Nous en voulons pour preuve évidente, le prétexte qui commande cette prise de parole : la présentation de l’œuvre de Michel Ndaot 1964.
Constitué de huit tableaux repartis sur soixante-neuf pages, le texte par rapport à la fable relate l’histoire du président d’un pays tropical d’Afrique Centrale appelé Gabon aux prises avec les forces vives de ce territoire qui souhaite ardemment vivre dans la liberté. Cette aspiration portée par le personnage collectif de l’armée va tenter dans un geste révolutionnaire de renverser le régime du président afin d’instaurer la démocratie dans un pays où est absent tout dialogue politique. La pièce joue sur les antagonismes entre des actants-acteurs dont les objectifs et les ambitions sont diamétralement antinomiques.
1964 présente à la fois un intérêt idéologique et littéraire avéré. Du point de vue idéologique, la fable, dans une anamnèse assumée fait revivre au lecteur endogène une partie de l’histoire du Gabon quatre ans après son indépendance : le coup d’état militaire du 17 au 20 Février 1964. En 1991, Magloire Ambourhouet Bigmann dans un article devenu célèbre au sein de notre littérature nationale, assertait que la littérature gabonaise était une littérature du silence parce que trop frileuse selon lui à parler de l’histoire du Gabon comme si une chape de plomb l’inhibait. On peut affirmer désormais qu’une telle posture est devenue caduque puisque 1964 de Michel Ndaot à la suite de Jean Divassa Nyama, avec son roman L’amère saveur de la liberté aux éditions Ndzé et Steeve Renombo Remember Charles aux éditions Descartes et Cie, ambitionnent mettre en relief une partie importante de l’histoire gabonaise. Il s’agit donc pour l’écrivain-dramaturge de revenir sur des événements qui ont marqué de leur empreinte indélébile le destin d’une nation, d’un peuple : celui du Gabon. Michel Ndaot prend donc comme point d’ancrage l’année 1964 afin de construire une fable politique dont la sémantique est à lire et à saisir dans le grand mouvement d’émancipation et d’affranchissement des peuples noirs trop soumis qu’ils sont aux turpitudes des politiques qui, non seulement confisquent pour eux le pouvoir politique, économique et parfois ésotérique mais plus encore, réverbèrent des postures sociopolitiques déshumanisantes.
A travers les personnages du président qui apparaît comme la clé de voûte d’un système inique au service d’une classe oligarchique complètement obnubilés par son narcissisme, le texte plonge le lecteur dans la vie et demie pour reprendre le beau titre de Sony LabouTansi. Aidé d’après le tissu énonciatif par la France grande puissance coloniale au service des dirigeants qu’elle-même a mis en place. C’est d’ailleurs le personnage du Général colon qui met fort opportunément cette présence française aux liens séculiers et inextricables entre le Gabon de 1964 et la France
Les liens historiques qui nous unissent sont aussi vieux que le monde. Des relations bilatérales nous renforcent dans nos politiques émergentes. Certes, nos deux peuples ne dansent pas la même cadence, mais nous aspirons vers un idéal commun : le développement. Mon pays vous apporte la civilisation (P. 41)
On le voit, nous avons affaire ici à un discours stéréotypé des rapports de coopération entre la France et son vassal africain. Les autres personnages, c’est-à-dire le conseiller Georges et le premier ministre sont idéologiquement des symboles de cette oppression. Ce sont les cerveaux de ce système alors que la femme allégorique et la femme de ménage sont-elles, les symboles de la résistance et de la détermination du peuple à sortir des affres de la déliquescence morale, spirituelle et sociale. Dans la pièce le dire et le faire des actants rendent comptes des représentations socio-idéologiques de ces derniers vis-à-vis de l’objet liberté.
Du point de vue esthétique, le texte de Michel Ndaot est écrit simplement. Lisible et compréhensible. L’auteur convoque dans son déploiement scriptural une dimension métatextuel (Gérard Genette) qui montre toute sa dette à l’endroit de l’histoire politique mais aussi de l’histoire littéraire. On retrouve ainsi des énoncés qui ont réellement été proférés par des figures aussi bien à la littérature à l’instar de BiragoDiop« Ecoute plus souvent les choses que les êtres » (P. 53.) ; Henri Lopes « cons de vos mamans ! » (P. 59.). Ou Franck Mvé« Cabri mort n’a pas peur du couteau » (P.62.) ou encore à la politique avec Léon Mba et son slogan « Gabon d’abord » (P. 34.), Omar Bongo « même s’il faut pactiser avec le diable » (P. 35.) ; « petit piment (…) créateur de la rénovation, l’homme du présent et du futur » (P. 38.). Nous avons également la présence d’autres figures historiques comme Pellisson (P. 50.), Martine Oulabou (P. 67.) qui ancrent davantage le texte dans une histoire qui dit les déchirures et blessures non cicatrisées d’un univers à la recherche d’une nouvelle utopie. Toujours dans le même sens, nous avons des apophtegmes énoncés par ces figures historiques « La tradition veut que quand un étranger vous apporte sa force de travail, on lui offre en retour des feuilles de manioc » (P. 67.). La chute de la maxime ayant ici une dimension parodique. Un peu plus loin « Main Blanche je suis venu au pouvoir, main…. » (P. 69.). Nous avons l’insertion de la chanson et de la poésie (P.31 et 47). A vrai dire, le métatexte atteste de la passion de l’auteur pour la littérature. Son écriture s’ouvre à l’altérité et joue le jeu du dialogisme bakhtinien.
Au niveau des didascalies, elles sont classiques et servent le plus souvent à situer un espace, une atmosphère, un état psychologique ou un décor. Au vue de toutes ces qualités littéraires, il est tout à fait urgent qu’un lectorat robuste et assidu fréquente immodérément la pièce de théâtre 1964 de Michel Ndaot.
Didier Taba Odounga
Université Omar Bongo