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Dossier/ Collectivités locales-Gouvernement : La guerre autour de la gestion des ordures ménagères

Le bras de fer entre les Collectivités locales et le gouvernement pour le contrôle de l’important marché lié à la collecte et au traitement des ordures ménagères vient de connaître un revirement. En effet, le jeudi 28 octobre 2021, le ministre de l’Intérieur Lambert Noël Matha a procédé à la visite des arrondissements des communes de Libreville et Owendo, pour instruire les édiles de reprendre la gestion de la collecte des ordures ménagères.

Depuis des décennies, plusieurs pays tentent de changer la gestion des déchets sur leur territoire, afin de lutter contre la contamination de l’environnement et d’améliorer la qualité de vie de leurs populations. Malheureusement, ce n’est pas une tâche facile. Entre détournements, conflits d’intérêt et coups bas, la gestion des ordures ménagères devient une arlésienne dans plusieurs pays, en l’occurrence le Gabon.

A Libreville, la capitale gabonaise, les ordures font partie des attraits esthétiques du territoire. Entre 1970 et 2006, la population librevilloise est passée de 150 000 à 800 000 habitants Cet exode rural a donné naissance à de nouveaux modes de vie dont le système de gestion des déchets mis en place n’était pas en mesure de maîtriser. Ce phénomène s’explique par une planification inadéquate du territoire et un manque d’infrastructures de ramassage de la part des autorités gouvernementales.

Ainsi, la capitale du Gabon s’est retrouvée avec un débordement des conteneurs dédiés aux déchets, une accumulation des ordures sur les chaussées, la présence de dépotoirs sauvages et la saturation de sa décharge à ciel ouvert de Mindoubé qui ne répond plus aux normes relatives à la protection de l’environnement et au règlement sanitaire d’hygiène et de salubrité publique. En effet, le jus produit, sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation des déchets enfouisqui s’écoule de cette décharge, contamine les cours d’eau, qui par ricochet ont des répercussions importantes sur la santé des habitants.

Quel modèle de gestion choisit le gouvernement gabonais

La gestion des déchets est sous la responsabilité des Municipalités. Toutefois, celles-ci confient, par le biais de contrats (1 an), à des opérateurs privés le soin de collecter et d’éliminer les déchets. Deux cas de figure peuvent se présenter pour la collecte des ordures. Dans le premier cas, la Commune assure directement cette tâche sur sa propre régie, en employant ces agents municipaux. C’est ce que fait la majorité des Communes du pays. Cependant, l’insuffisance des budgets municipaux, comparée à l’augmentation des coûts de collecte, limite souvent cette pratique dans le temps.

Le second cas de figure est celui où la Commune délègue cette opération à une société prestataire telle que la Société Gabonaise d’Assainissement (SGA; Libreville, Port-Gentil et Franceville), ANTIGONE (Libreville), Gabon Propre Service (GPS, Libreville), et la Société de Valorisation des Ordures du Gabon (SOVOG, Libreville), Clean-Africa (Libreville). La décharge apparaît encore globalement comme la destination des déchets des collectivités, accueillant le total du gisement des ordures collectées (60%); une partie est incinérée (29%) dans les quartiers ou au lieu de déversement ; le reste (fumier et autres) constitue les 11% restants (EBC,1992) ; ceci dans le cas principal de Libreville. Quid alors du traitement des ordures ? Pourtant, il avait été prévu la construction d’une usine de traitement des ordures dans la zone de Saint Claire, dans la commune d’Owendo. Mais depuis lors, c’est le silence radio.

L’exemple de la ville de Libreville est révélateur de la situation de l’ensemble des villes gabonaises. La Mairie ne dispose pas de moyens importants pour une collecte intégrale des ordures ménagères générées. L’absence des voies pénétrantes et les mauvais réflexes des citadins des quartiers sous-intégrés viennent compliquer la gestion des détritus urbains. Dans l’esprit de certains résidents (ceux des quartiers périphériques), c’est aux agents des sociétés prestataires chargés de la collecte des ordures de ramasser les déchets, et ceci quelle que soit leur localisation.

Bataille autour du transfert de compétences

Cette bataille qui a commencé par décret pris en le 12 juin 2020, en Conseil des ministres, transférant aux collectivités locales la collecte des ordures ménagères et la gestion des importants marchés publics afférents. Le Premier ministre de l’époque, Julien Nkoghe Bekale avait annoncé cette décision le 9 mai de la même année, aux membres du gouvernement concernés et aux maires de Libreville.

Ce transfert de compétences était attendu depuis la promulgation en 1996 de la loi sur la décentralisation. Mais jusqu’à ce jour, de puissants groupes d’intérêts étaient parvenus à empêcher cette réforme. Et cela, en dépit de la défaillance notoire de la Société de valorisation des ordures ménagères (Sovog), financée par le Fonds de péréquation des collectivités locales et placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur.Courant 2012, face à l’insalubrité devenue quotidienne, le chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba avait enjoint ses collaborateurs et ministres concernés de trouver une solution, sans délais. Le 12 octobre 2012, le Tahitien Dominique Auroy, actionnaire à 99% de la Sovog, à travers l’entité Pangola Afrique, a alors été fermement prié de convoquer une Assemblée générale. Au cours de cette réunion, 70% du capital de l’entreprise a été cédé à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pour un montant de 8,7 milliards de F CFA.

Six mois plus tard, le 12 avril 2013, lors d’une nouvelle Assemblée générale, un changement de dénomination a été décidé. La société a été rebaptisée Clean Africa et de nouveaux administrateurs ont été désignés parmi lesquels, Pacôme Moubelet, alors secrétaire général du gouvernement, Lambert Noël Matha qui officiait en tant que secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Yves Fernand Manfoumbi, ancien directeur général du Budget, ou encore l’ancien directeur général de l’Environnement, Léandre EbobolaTsibah.Selon le compte-rendu de cette session, signé par le notaire Alfred Bongo, une résolution octroyait à titre personnel à ces administrateurs désignés une indemnité de fonction mensuelle de 4 millions de F CFA.

Limogeages en série

Mais, en dépit de ces changements, les déchets ont continué de s’amonceler sur les trottoirs de Libreville. Incapable d’exécuter son contrat, Clean Africa en a confié la sous-traitance à Averda, une entreprise libanaise qui a installé ses bureaux – sans contrat de bail – à la décharge de Mindoubé, près de Libreville. Lorsque Brice Laccruche Alihanga (BLA) fut nommé directeur de cabinet du président, il a découvert ce montage et décidé de créer, le 29 mars 2019, un Haut-commissariat à l’environnement et au cadre de vie.

Cette nouvelle structure était chargée, entre autres, de gérer depuis le Palais du Bord de mer la manne annuelle – près de 30 milliards de F CFA – du Fonds de péréquation des collectivités locales. BLA a placé à sa tête l’un de ses protégés, Yannick Ongonwou Sonnet.

BLA, qui souhaitait faire monter en puissance le Haut-commissariat, a ensuite écrit à la direction d’Averda pour l’informer qu’au 31 décembre, le contrat ne serait pas renouvelé. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Tous les acteurs de cette filière ont été limogés par Ali Bongo Ondimba, exceptés Lambert Noël Matha, l’actuel ministre de l’Intérieur et Yannick Ongonwou Sonnet. Deux d’entre-eux, à savoir Alain Ditona Moussavou, l’ancien directeur général de la CDC et BLA lui-même font l’objet d’une procédure judiciaire. Les collectivités locales étant désormais chargées de la gestion des ordures, le Haut-commissariat devrait être transformé en une direction générale rattachée au ministère de l’Environnement.

Après tout ce méli-mélo, le gouvernement vient de prendre la décision de retourner la patate chaude aux mairies de Libreville, sans une définition préalable de leur prérogative et surtout, avec quels moyens ces mairies pourront-ils venir à bout des montagnes d’immondices qui jonchent les rues dela capitale gabonaise ? Surtout qu’en amont, plusieurs structures plus aguerries dans le secteur ont vu le jour, sans pouvoir résoudre ce nœud gordien devenu.

LMA

 

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