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Evènement : Qui, au Gabon, se rappelle encore du 19avril…1990 ?

Combien d’entre nous saurait y répondre ? C’est la date de la clôture de la seconde grande fête nationale au Gabon : notre Conférence Nationale. La première étant le jour de notre Indépendance nationale. Ce symposium national devait réintroduire le multipartisme dans nos us et coutumes politiques. 31 ans après, quel bilan en tirons-nous ? Positif ? Négatif ? Amnésie générale? Des barbes blanches, regroupées au sein du Cercle des Notables de la République un certain 16 Mars 2018, tiraient le bilan suivant : « 23 ans durant, un seul parti avait, sur nous, régné en maître absolu; il était la mesure de toute pensée politique. Il fallait donc entamer, avons-nous pensé, à juste titre, une autre étape.

 Tout le monde en était d’accord, malgré quelques nostalgiques. Mais encore fallait-il prendre toutes les dispositions pour marquer une vraie évolution, un vrai changement. Beaucoup de souhaits furent exprimés dans un climat parfois électrique. Malheureusement, ici, comme en 1960, on n’a pas réussi à parvenir à des consensus forts pour marquer l’avenir de notre pays. Quelques mesures, en réalité marginales, furent prises pour un futur incertain. En fin de compte, ce tournant fut raté lui aussi. Car, le 19 avril 1990, date à laquelle le Président de la République devait prononcer le discours de clôture de ces assises, nous nous sommes trouvés divisés en deux camps dans deux salles différentes. D’un côté, les partis et les associations politiques prétendus de la majorité, et de l’autre, ceux considérés comme de l’opposition. C’est ainsi que chacun regagna ses pénates. Mais le Gabon n’avait pas réellement avancé. La suite nous l’a bien montré. Aucune élection ne fut organisée avec toutes les garanties de transparence. Rien d’étonnant avec toutes les contestations que nous avons connues jusqu’aujourd’hui. Si bien que nous nous trouvons dans une sorte de cycle infernal d’éternel recommencement. Dès lors, personne ne peut s’étonner de la situation de crise que nous connaissons depuis belle lurette, particulièrement après la dernière élection présidentielle »

 Absence de consensus forts

Quels sont, selon ces personnalités politiques, les consensus forts auxquels les Gabonais n’ont pu aboutir au bout d’une trentaine d’années de multipartisme ? Il s’agit pour elles  des consensus social, économique, politique, mais, «au-delà … », poursuivent-ils, « il y a le problème des relations entre nous. Nous sommes divisés : à l’intérieur de nos communautés, de nos partis politiques, de nos familles et même à l’intérieur de nous-mêmes. ».  Même sans le signifier explicitement, ces Notables ont insisté là sur la transformation de notre riche diversité communautaire en un mal que les 30 ans de multipartisme n’ont pas soigné mais plutôt aggravé. De fait, il ne fait aucun doute que nos nombreuses diversités communautaires ont profondément imprégné l’ADN de nos partis politiques, lors de leur création, et favorisé leur prolifération par la suite. Tout Gabonais a sa petite idée pour ce qui est, après constat, d’estampiller ethniquement telle ou telle formation politique gabonaise. Une réalité qui, renvoyée au caractère fractal de notre pays où des populations hétérogènes ont été « parquées » à l’intérieur de frontières arbitraires, peut faire courir un risque d’instabilité.

Nouh El Harmouzi, docteur-chercheur en économie estimait, en 2008, que « Les problèmes ethniques se manifestent lorsque les membres d’une entité opposante s’estiment lésés, discriminés, et privés d’accès aux ressources. L’absence de possibilité de contestation pacifique et le climat d’oppression les poussent souvent à se révolter violement contre l’ordre en place jugé injuste. Les leaders au pouvoir préfèrent souvent combattre tout changement jugé compromettant et synonyme le plus souvent de perte de richesse voire même de la vie du leader et de sa communauté. C’est ainsi que ces sociétés rentrent dans un cercle vicieux de violence dans lequel les fractions sont en perpétuels conflits de pouvoir usant les richesses locales pour acheter des armes entretenant ainsi le cycle de la violence. Une violence qui ne profite en fin de compte qu’aux trafiquants d’armes et aux « seigneurs de la guerre ». Il rajoute plus loin que « Le multipartisme comme « gage » de démocratie exigée par les bailleurs de fonds s’est ainsi implanté sur de mauvaises bases. Les partis politiques se sont brusquement démultipliés du jour au lendemain. Les leaders politiques se sont souvent axés sur les clivages ethniques et identitaires (plutôt que sur des clivages philosophiques résultant d’un débat d’idées) pour attirer les sympathisants, asseoir leur autorité et atteindre le pouvoir. Dans un contexte (d’absence d’état de droit) brimant l’esprit d’entreprise et décourageant l’effort et l’initiative individuels, seul le pouvoir politique et le contrôle de l’appareil de l’Etat garantissent l’accès à la richesse et l’ascension sociale. Les ressources naturelles (hydrocarbures, diamants et or, uranium, etc.) et les débouchés qu’offre le marché de 800 millions d’africains n’ont jamais cessé d’attiser les convoitises des acteurs nationaux et internationaux. L’accès à la tête de l’Etat permet au leader d’organiser et de consolider le pouvoir autour de sa tribu ou de son clan. Les richesses de l’Etat, les rentes de situation et la confiscation des biens (terres, capitaux) permettent de contrôler la société, de nouer des alliances, de « remercier » les fidèles via la distribution de postes administratifs et de portefeuilles ministériels « juteux », et enfin d’acheter des armes pour réduire au silence et/ou écraser les dissidents les plus récalcitrants »

L es Gabonais n’en sont pas encore arrivés au point de déclencher une guerre civile entre eux comme ailleurs sur le continent, mais comme on peut aisément le constater, tous les ingrédients existent pour. L’un d’eux est justement ce fractionnement à l’infini du paysage politique. Aujourd’hui, le Gabon compte plus de 80 partis politiques. Seidik Abba, journaliste et écrivain, s’amusait de savoir dans quel domaine l’Afrique avait accompli des progrès spectaculaires, ces 20 dernières années. Il répondit : « La téléphonie mobile est la réponse qui vient, à juste titre, à l’esprit de la plupart d’entre nous. On trouve désormais quasiment au moins un téléphone portable dans chaque village africain. Même là où l’électricité fait défaut. », il poursuit : « Il y a pourtant bien un autre domaine, certes moins visible à première vue, dans lequel le continent a effectué un saut extraordinaire : celui du nombre de formations politiques par pays. On est passé en effet d’une Afrique dominée majoritairement par le parti unique ou le parti-Etat, au lendemain des indépendances nationales, à un continent où la démocratisation se manifeste désormais par la forte inflation de formations politiques. » Une inflation que notre confrère illustre ainsi : « La République démocratique du Congo compte ainsi 477 partis politiques, le Cameroun enregistre 291 formations politiques, le Sénégal en affiche 255, le Mali présente 171 partis politiques et le Burkina Faso 113 formations politiques. » Ce qui donne, en matière de rapport parti/population, pour :

 

  • La RDC, 1 parti pour 192000 habitants (h)
  • Le Burkina Faso, 1 parti pour 190000 h ;
  • Le Mali, 1 parti pour 120500 h ;
  • Le Cameroun, 1 parti pour 90000h ;
  • Le Sénégal, 1 parti pour 66500 h.

Même « battus » par le Congo Brazzaville où 1 parti correspond à 14500h, le Gabon, atteint le chiffre exceptionnel d’un parti pour…25000h. N’est-ce pas là le centre nerveux des problèmes qu’il faut régler par la promotion des consensus nécessaires pour bâtir la République et la Nation ? Et que 31 ans après notre Conférence Nationale, nous n’avons pas encore réglé.

 

Stéphane MWAMEKA

 

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