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La chronique: Décentralisation au Gabon : le défi du transfert des compétences enfin à l’épreuve des collectivités locales

Le Gabon s’est engagé depuis plusieurs années dans un processus de décentralisation administrative et du transfert progressif des compétences de l’État aux collectivités locales. Ce chantier vise à rapprocher l’administration des populations, renforcer la gouvernance territoriale et stimuler le développement local. Toutefois, la mise en œuvre reste partielle et pose des défis pratiques, tant en matière de finances publiques qu’en termes de capacité administrative locale. Cette dynamique s’appuie sur un arsenal juridique national structuré, mais son application reste en cours et sujette à des contraintes opérationnelles.

Par Louis-Paul MODOSS; Chroniqueur économique

 Un cadre juridique en place, mais encore en construction

Le processus gabonais repose sur plusieurs textes adoptés ces dernières années :

  • La loi organique n°001/2014 du 15 juin 2015 relative à la décentralisation pose les règles de création, d’organisation et de fonctionnement des collectivités locales au Gabon.
  • La loi n°028/2020 du 24 décembre 2020 précise les modalités de transfert des compétences de l’État aux collectivités locales-y compris les conditions de transfert des services publics, des personnels, des biens et des ressources financières.
  • Le décret n°000304/PR/MDCDT du 14 août 2020 fixe l’organisation et le fonctionnement des organes de décentralisation.
  • En janvier 2025, le gouvernement gabonais a adopté un projet d’ordonnance de programmation du transfert des compétences et des moyens, organisé en deux phases : une phase pilote dans les chefs-lieux provinciaux avec ressources importantes, et une extension nationale ultérieure.

Décentralisation en pratique : capacités locales et défis

Même si l’arsenal juridique est relativement complet, l’effectivité du transfert reste encore limitée sur le terrain. Un consensus des observateurs est que la simple existence de textes ne suffit pas à garantir un transfert effectif des pouvoirs et des ressources-notamment en raison de capacités techniques, de moyens financiers et de formation des administrations locales encore insuffisants.

Dans ce contexte :

  • Les collectivités locales gabonaises disposent aujourd’hui de ressources limitées et d’une autonomie financière encore faible, ce qui freine leur capacité à assumer les compétences transférées.
  • La mise en place d’une fonction publique locale compétente, de ressources humaines formées et d’outils de gestion adaptés est identifiée comme une condition essentielle pour une gouvernance efficace.

Une mise en œuvre réussie de la décentralisation suppose également une gouvernance locale transparente et responsable, capable de générer des résultats mesurables en termes de services publics et de développement économique.

Un modèle de réussite en Afrique : cas du Sénégal

Souvent cité comme l’un des modèles africains de décentralisation, le Sénégal offre plusieurs éléments de comparaison pertinents pour le Gabon-bien que le contexte institutionnel et socio-économique diffère.

Au Sénégal :

  • Le processus de décentralisation s’est construit depuis les années 1970, avec des réformes clés en 1996 et 2013 qui ont étendu progressivement les compétences des collectivités locales, notamment dans des domaines tels que l’éducation, la santé, l’urbanisme et l’environnement.
  • La réforme de 1996 a notamment consacré la régionalisation, prévu le transfert de compétences dans au moins neuf domaines et ancré la libre administration des collectivités locales.
  • Au fil des réformes, des structures telles que des groupements d’intérêt communautaire (GIC) ont été créées pour encourager la coopération inter-collectivités autour de projets de développement économique et social.

Ces évolutions témoignent d’un cadre institutionnel qui a favorisé, sur le papier, une certaine autonomie locale à travers des textes spécifiques et des mécanismes d’organisation territoriale.

Pour autant, malgré ces avancées institutionnelles, des études académiques soulignent que la mise en œuvre réelle reste souvent freinée par le manque de moyens locaux, de capacités administratives et de ressources financières suffisantes pour faire fonctionner pleinement les compétences transférées.

 

Perspectives pour le Gabon

Le Gabon peut s’inspirer des avancées institutionnelles observées au Sénégal en intégrant plusieurs priorités :

  • Un transfert concomitant des ressources financières et humaines qui accompagne chaque compétence transférée, afin d’éviter des situations où les collectivités seraient juridiquement responsables mais sans moyens d’agir.
  • Des programmes de formation ciblés, pour doter les administrations locales de compétences techniques, juridiques et financières suffisantes- un élément souvent souligné dans les évaluations des processus de décentralisation.
  • Mécanismes de coopération inter-collectivités, à l’image des GIC sénégalais, qui permettent d’optimiser la mise en œuvre de projets de développement supra-communaux lorsque les ressources locales sont limitées.
  • Transparence et gouvernance locale, indispensables pour renforcer la confiance des citoyens et attirer des partenaires au développement.

En conclusion, le Gabon a posé depuis 2015, les bases juridiques d’une décentralisation ambitieuse, mais celles-ci restent en phase de mise en œuvre progressive. Les objectifs de rapprocher l’administration des citoyens et d’accélérer le développement local sont largement partagés par les textes officiels, mais leur réalisation dépendra de la capacité des collectivités locales à assumer, avec moyens et compétences, les responsabilités transférées.

En s’inspirant d’expériences africaines comme celle du Sénégal-qui a institutionnalisé depuis longtemps la décentralisation tout en apprenant à surmonter, pas à pas, ses propres contraintes — le Gabon pourrait mieux articuler formation, finances et gouvernance locale vers des résultats mesurables pour ses populations.

 

 

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