Pyramid Medias Gabon

La Chronique : La corruption au Gabon : le scandale silencieux qui empêche le pays d’avancer

Il y a une vérité que nous devons enfin regarder en face : la corruption est aujourd’hui l’un des principaux freins au développement du Gabon. On en parle souvent à voix basse, avec prudence ou fatalisme, comme d’un phénomène inévitable. Pourtant, elle n’est pas une fatalité culturelle — c’est une mécanique bien identifiée, nourrie par l’impunité et le manque de contrôle.

Louis-Paul MODOSS ; Chroniqueur économique

Quand l’État se prive lui-même de richesse

Chaque année, entre 150 et 300 milliards de FCFA s’évaporent dans l’économie parallèle de la corruption. Ce n’est pas une abstraction, c’est une réalité mesurable. Ce sont des marchés publics surfacturés, des douanes contournées, des marchés attribués à prix d’amis, des enveloppes qui circulent.

Dans un pays de seulement 2 millions d’habitants, cette perte annuelle est gigantesque. Elle représente entre 5 et 10 % du budget national. Autrement dit, nous gaspillons en corruption de quoi transformer durablement nos systèmes d’éducation, de santé et de transport.

Un système qui s’auto-alimente

La réalité, c’est que nous avons construit un environnement où :

  • la nomination prime sur la compétence,
  • l’allégeance personnelle supplante l’éthique de service,
  • la justice demeure prudente lorsqu’il s’agit de sanctionner les puissants.

Tant que l’impartialité judiciaire est relative, la corruption est rationnelle : elle rapporte plus qu’elle ne risque.

Le peuple paie le prix fort

À chaque fois qu’un responsable détourne une part d’un budget public, il ne vole pas un chiffre sur un document : il vole un espoir, une opportunité, une dignité.

Ce milliard qui disparaît dans un contrat truqué, ce sont :

  • des classes non construites, où nos enfants étudieraient,
  • des centres de santé jamais ouverts, où nos malades seraient soignés,
  • des routes jamais rénovées, où nos marchandises circuleraient,
  • des fonctionnaires sans moyens, qui pourtant travaillent pour la nation.

La corruption tue le progrès à petit feu.

Un climat économique empoisonné

Pendant que certains s’enrichissent dans l’ombre, le pays en paie le prix au grand jour. Encore aujourd’hui, le Gabon absorbe moins de 1 % des investissements directs étrangers en Afrique.
Les investisseurs n’aiment ni l’arbitraire, ni l’imprévisibilité, ni les réseaux d’influence opaques.

Plus de 40 % des entreprises locales affirment que la corruption augmente leurs coûts de fonctionnement. Le résultat : l’entrepreneur méritant est écrasé par l’entrepreneur “protégé”.

Ce n’est plus une économie de libre concurrence — c’est une économie de connivence.

Rompre avec la complaisance

Nous devons sortir du déni collectif. Nous devons cesser de considérer la corruption comme une habitude locale plutôt qu’un crime contre la nation.
Nous devons rétablir la confiance par des actes, pas par des discours.

  • Numériser l’administration pour couper le contact corruptible.
  • Publier les contrats publics, les appels d’offres, les montants, les entreprises gagnantes.
  • Donner à la Cour des Comptes un vrai pouvoir, non symbolique.
  • Protéger juridiquement les lanceurs d’alerte — au lieu de les isoler.

La corruption régresse là où la transparence progresse.

Une prise de conscience urgente

Dans la lutte contre la corruption, nous n’avons pas besoin d’héroïsme, mais de cohérence. Pas besoin d’une chasse aux sorcières, mais d’un assainissement systémique.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la justice administrative — c’est la trajectoire historique du Gabon.

Le jour où l’argent public ira entièrement aux projets publics, le Gabon changera de dimension.

 

 

author

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *