Face à la flambée des prix des denrées de première nécessité, le Gabon mise sur une double stratégie : importer via la Centrale d’Achat (CA) pour stabiliser les coûts à court terme, tout en accélérant la production locale afin de réduire la dépendance vis-à-vis du marché international.
Louis-Paul MODOSS ; Chroniqueur économique
Importer pour stabiliser les prix
La CA a été mise en place pour servir d’intermédiaire entre les fournisseurs étrangers et le marché national. Objectif : sécuriser l’approvisionnement en une cinquantaine de produits de première nécessité (riz, huile, sucre, farine, viande congelée, savon, etc.), dont plus de 70 % proviennent actuellement de l’étranger.
« La Centrale d’achat permet de négocier des volumes importants auprès de fournisseurs internationaux, afin de garantir des prix stables et un approvisionnement régulier pour les ménages gabonais », expliquait récemment le Ministre de l’économie dans un passage télévisé.
Mais cette stratégie comporte une limite majeure : la dépendance aux cours internationaux. En cas d’inflation mondiale, le Gabon subit de plein fouet la hausse des prix, comme cela a été le cas en 2022, lorsque le prix du blé avait bondi de 40 % sur le marché international, impactant directement le coût de la farine et du pain au Gabon.
Subventions : une solution transitoire
Pour contenir la hausse et protéger le pouvoir d’achat, l’État déploie des subventions ciblées sur certains produits stratégiques (riz, huile, farine). Selon les chiffres du ministère du Commerce, près de 30 milliards de FCFA ont été mobilisés en 2023 pour amortir le choc inflationniste sur les denrées importées.
« Ces mesures de soutien sont indispensables pour protéger les couches les plus vulnérables de la population, mais elles ne peuvent pas constituer une solution à long terme »
Produire localement pour réduire la dépendance
C’est pourquoi le gouvernement met l’accent sur la production locale et la transformation industrielle. L’objectif est clair : substituer progressivement les importations par une offre nationale compétitive.
- Huile de palme : déjà produite localement par des acteurs comme Olam Palm Gabon, cette filière illustre le potentiel de l’agro-industrie nationale. En 2024, la production locale a couvert environ 80 % des besoins nationaux. « Le modèle de l’huile de palme montre que nous pouvons transformer nos ressources agricoles pour réduire nos importations et créer des emplois »
- Manioc et dérivés : avec une consommation estimée à plus de 200 000 tonnes par an, le manioc représente un levier majeur pour réduire les importations de farine de blé. Des projets de transformation (gari, farine de manioc) sont en cours pour industrialiser la filière.
- Volaille et maïs : le Gabon importe encore plus de 90 % de sa viande de volaille. Le développement de fermes avicoles locales pourrait inverser la tendance et créer des milliers d’emplois.
Un enjeu économique et stratégique
Réussir ce pari, c’est non seulement maîtriser les prix, mais aussi équilibrer la balance commerciale, déficitaire de près de 500 milliards de FCFA en 2023 à cause des importations alimentaires.
Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), « le Gabon dispose d’un potentiel agricole considérable encore sous-exploité. Investir dans les filières vivrières locales est la meilleure réponse structurelle à la volatilité des marchés mondiaux ».
À moyen terme, le gouvernement vise à réduire de 30 % la dépendance alimentaire d’ici 2030, en s’appuyant sur des pôles agricoles régionaux et sur l’investissement privé dans l’agro-industrie.
En résumé, le Gabon ne pourra pas se libérer de la pression des marchés internationaux sans développer sa propre production. Si les importations via la CA sont nécessaires pour répondre à l’urgence, la véritable bataille contre la vie chère se gagnera dans les champs et les usines locales.