Pyramid Medias Gabon

Routes au Gabon : le kilomètre bitumé à 1,2 milliard FCFA, un modèle à réformer d’urgence

Le projet routier Ntoum–Cocobeach, dont le lancement officiel a été salué en grande pompe, fait couler beaucoup d’encre. En effet, pour 83 kilomètres de bitume, le gouvernement a engagé 100 milliards de FCFA, soit un coût unitaire de 1,2 milliard FCFA par kilomètre. Rapporté en dollars, ce montant avoisine 1,8 million USD/km, ce qui classe le Gabon parmi les pays africains les plus chers en matière d’infrastructures routières.

Par Louis-Paul MODOSS ; Chroniqueur économique

Une situation qui interpelle, à l’heure où près de 80 % des 10 000 kilomètres du réseau routier national restent non aménagés ou impraticables, selon les chiffres officiels du ministère des Infrastructures.

Un coût qui dépasse largement la moyenne africaine

À titre comparatif, le coût moyen d’un kilomètre de route bitumée est estimé à :

  • 500 à 800 millions FCFA au Ghana, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal ;
  • 600 à 700 millions FCFA en Éthiopie, pourtant confrontée à une géographie montagneuse ;
  • 800 à 900 millions FCFA en République Démocratique du Congo, dans des conditions logistiques difficiles.

Face à cela, le coût gabonais (1,2 milliard FCFA/km) soulève des interrogations légitimes, surtout dans un contexte budgétaire contraint.

Une chaîne de production gangrenée

Plusieurs experts et rapports publics pointent du doigt des causes structurelles :

  • Multiplication d’intermédiaires et sous-traitances à répétition ;
  • Système de rétrocommissions pesant sur les marges techniques ;
  • Faible contrôle qualité, entraînant parfois des reconstructions coûteuses ;
  • Planification irrationnelle, sans vision unifiée à long terme.

Dans un document d’orientation stratégique consulté (Analyse de la problématique du réseau routier 2022), il est même affirmé que « la plupart des fonds affectés à ces projets ont été cannibalisés », au détriment des besoins essentiels.

Un modèle insoutenable face aux objectifs de développement

Le Gabon ambitionne de réhabiliter 2500 kilomètres de routes d’ici 2030, en plus de la réalisation complète de la Transgabonaise (800 km). Si les coûts actuels sont maintenus, ce programme nécessiterait plus de 3000 milliards FCFA, soit bien au-delà des capacités de financement actuelles de l’État, même avec le soutien des bailleurs.

Des alternatives techniques et budgétaires existent

Des solutions viables existent pour baisser les coûts sans compromettre la qualité :

  • Utilisation de routes en béton compacté (BCR), plus durables ;
  • Adoption des pavés autobloquants dans les zones urbaines ou semi-rurales ;
  • Stabilisation de la latérite et gravillonnage pour les zones à faible trafic ;
  • Mobilisation de fonds publics-privés et élargissement des appels d’offres internationaux.

À cela s’ajoute la nécessité de renforcer le rôle du Fonds autonome national d’entretien routier (FANER), pour assurer des décaissements rapides et transparents, éviter les retards et renforcer la traçabilité.

Un impératif de transparence et de gouvernance

Plus que de l’ingénierie, le problème est d’abord institutionnel. Il faut :

  • Réformer le système des marchés publics ;
  • Limiter les intermédiaires et imposer une transparence dans la chaîne contractuelle ;
  • Standardiser les coûts et renforcer les audits techniques indépendants ;
  • Impliquer la société civile et les médias d’investigation dans le suivi.

Le cas Ntoum–Cocobeach est emblématique d’un modèle devenu insoutenable. Si le Gabon veut réaliser ses ambitions en matière d’infrastructures, il doit impérativement revoir sa stratégie routière : miser sur la qualité, la transparence, l’innovation technique et surtout la bonne gouvernance.

Autrement, les routes resteront des chantiers sans fin, coûteux, mal exploités et sans impact réel sur le développement territorial.

 

 

author

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *