Le gouvernement gabonais a fixé au 1er janvier 2029, l’interdiction d’exporter le manganèse brut. Une stratégie visant à faire basculer le pays d’une économie extractive à un modèle industriel à forte valeur ajoutée. Réaction immédiate de Christel Bories, PDG d’Eramet : l’entreprise prend acte, en se déclarant prête à « coopérer » pour préserver ses 10 460 emplois locaux et maintenir « une relation constructive et respectueuse avec les autorités gabonaises ».
Par Louis‑Paul MODOSS, Chroniqueur économique
Avantages attendus
En produisant localement des alliages — silico‑manganèse ou manganèse métal — le Gabon captera une part significative des marges, aujourd’hui captées hors du pays. À l’image de la filière bois, où une interdiction similaire, insufflée sous le régime déchu, a boosté les industries locales dès 2010. Des unités de transformation peuvent générer des milliers d’emplois techniques. Comilog a déjà lancé un pôle de formation technique et un complexe métallurgique en 2015, signe que l’expertise locale monte en puissance Le pays s’appuie sur ses barrages hydroélectriques (Poubara I & II, Grand Poubara) pour alimenter ses futures usines, un avantage comparatif rare en Afrique subsaharienne
Inconvénients et limites
La transformation électro-intensive nécessite un réseau stable. Le manque actuel d’infrastructures appropriées est souligné comme frein majeur. Pour moderniser le réseau et créer des usines, des centaines de milliards FCFA sont nécessaires. Le pays devra recourir à des PPP, fonds multilatéraux et mobilisation privée. La réaction boursière d’Eramet (−5 % à plus de −5,5 % le jour de l’annonce) illustre les craintes d’un ajustement brutal
- Expériences mitigées ailleurs
- Indonésie : le bannissement du nickel brut dès 2020 a permis de développer une industrie de fonderie compétitive, un succès notable
- Zimbabwe : l’interdiction du lithium brut n’a pas débouché sur une réelle capacité de transformation locale, faute d’infrastructures et de financement adaptés.
Ces cas montrent que le succès dépendra de la volonté et de la capacité d’investissements et de structuration nationale.
Recommandations clés
- Construire un écosystème énergétique d’excellence
Investir dans l’extension des barrages et la rénovation du réseau électrique pour sécuriser l’alimentation industrielle. - Renforcer l’attractivité du secteur
Offrir des exonérations fiscales, garanties juridiques et créer des zones économiques dédiées aux métaux industriels.
- Former une main-d’œuvre locale de haut niveau
Appuyer les filières techniques existantes à Moanda et ouvrir des cursus diplômants spécialisés.
- Bâtir un modèle partenarial clair
Formaliser un cadre de dialogue entre l’État, Comilog/Eramet, et les bailleurs, pour suivre l’évolution du dossier pas à pas
La décision de transformer le manganèse localement d’ici 2029 constitue un virage stratégique pour le Gabon. Elle transforme un modèle concentré sur l’extraction en une vision industrielle et souveraine. L’engagement d’un acteur comme Eramet — au travers d’un message axé sur la coopération — est un signal positif. Néanmoins, le succès reposera sur une coordination efficace des investissements publics et privés, sur l’amélioration de l’infrastructure énergétique et sur l’apprentissage des modèles africains, qu’ils soient réussites (Indonésie) ou alertes (Zimbabwe).