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Tribune : Rachat d’Assala : une stratégie de reconquête de la souveraineté économique et pétrolière au Gabon

De portée géopolitique et géoéconomique, cette tribune vise à analyser, à comprendre et à examiner les changements et les choix stratégiques qui s’opèrent au Gabon depuis le 30 août 2023, et dont les motivations s’inscrivent dans une logique de restauration, de réappropriation et de reconquête de sa souveraineté. Pour construire notre argumentaire, nous nous appuierons  sur quelques éléments d’économie, de géopolitique, d’histoire et de droit, dans le cadre de l’interdisciplinarité des sciences humaines. Il ne s’agit pas pour nous de comparer ni d’opposer des réalités, mais de mettre sur la table un certain nombre d’éléments d’appréciations et de compréhension.

 L’économie gabonaise dépend largement du pétrole. L’exploitation des ressources pétrolières se fait à partir du bassin sédimentaire gabonais à 30% d’onshore et 70% de l’offshore. Environ 47% (dont 40 à 60 % dans l’offshore) de la surface attribuée est ouverte à l’exploration. Toutefois, depuis 1997, le Gabon enregistre une dégradation des performances du secteur pétrolier à cause de deux facteurs aux effets croisés. II s’agit d’une part de la chute de la production suite à l’épuisement des principales réserves connues, et, d’autre part, à l’extrême instabilité des cours du pétrole.

La production pétrolière gabonaise, qui avait atteint le pic de 18,45 millions de tonnes en 1997, a enregistré depuis lors une baisse régulière d’environ 5% par an, d’après les chiffres officiels confirmés par la Banque mondiale. De 17,5 millions de tonnes en 1998, elle a chuté à 12,6 millions de tonnes en 2009. Cette baisse de la production a inévitablement entrainé celle des recettes sur la période 2002-2010 et probablement sur la période suivante avec, selon les estimations de PFC Energy, 9 milliards puis 5,1 milliards de dollars. La part de la production des hydrocarbures dans les recettes de l’État est de 60%. L’augmentation du taux d’occupation du domaine pétrolier est le corollaire d’une intensification des activités de recherche d’hydrocarbures. Cette situation augmenterait donc la probabilité de nouvelles découvertes d’hydrocarbures comme celle réalisée en mai 2024 par Panoro Energy sur le permis Dasufu marin,  avec pour conséquence l’augmentation des réserves.

 Selon un rapport publié en 2010 par la British Petroleum Statistical Review of World Energy, le Gabon se trouve à la 7ème position des réserves prouvées, de pétrole en Afrique avec 3,7 milliards de barils. Mais, il ne produit que 11 millions à 12 millions de barils par jour pour le moment. Malgré tout, Le Gabon, dont l’estimation de la durée de vie des réserves est de 40 ans, se trouve ainsi à la première place des pays membres de la CEMAC, devant le Congo Brazzaville, la République de Guinée Équatoriale et le Tchad avec respectivement 1,9 milliard de barils, 1,7 milliard de barils et 0,9 milliard de barils.  Le Gabon regorge par ailleurs de 0,3% des réserves mondiales de pétrole.

C’est pourquoi le secteur de l’or noir au Gabon doit enregistrer à partir de maintenant, en plus d’une réforme de son cadre juridique, mais aussi des extensions territoriales de l’exploration et de l’exploitation pétrolière, de la côte vers le large. Il faut dire qu’à côté des producteurs majeurs comme le Nigéria, le Gabon est un producteur significatif dans le Golfe de Guinée aux cotés de l’Angola, du Ghana, du Congo et de la Guinée Équatoriale. Il y a donc derrière ce rachat d’Assala plusieurs enjeux parmi lesquels:

–  avoir une main mise sur l’activité ;

–  accroitre la production nationale de pétrole ;

– optimiser les recettes de l’État et faire du pétrole un véritable moteur de développement comme pendant la période de la fin des années 1970 à la fin des années 1990, non sans signaler les récessions relatives aux chocs pétroliers de 1979-1980.

Le pétrole constitue une richesse fondamentale, mais aussi une richesse aléatoire pour le Gabon. D’une part, la production varie en fonction de l’épuisement des réserves connues et des nouvelles découvertes. D’autre part, les cours du pétrole et du gaz varient en fonction de la conjoncture géopolitique internationale. Dans ces conditions, quels sont les moyens par lesquels le Gabon pourrait-il tirer davantage parti de ses ressources naturelles et plus particulièrement des hydrocarbures, notamment le pétrole et le gaz ?

Pour permettre à l’État gabonais de tirer meilleur parti des ressources pétrolières et gazières, il serait souhaitable de s’orienter d’abord vers les options stratégiques nécessaires à une optimisation de la production des hydrocarbures (D’où l’importance du rachat d’Assala), et ensuite vers les transformations indispensables pour rendre compétitif l’environnement institutionnel, juridique et fiscal du secteur des hydrocarbures au Gabon. C’est dans cette optique que, le 31 décembre 2023, lors de son adresse à la nation, le Président de la Transition Brice Clotaire Oligui Nguéma, annonçait que le pays allait exercer son droit de préemption pour le rachat d’Assala Gabon.

 Cette annonce fut accueillie à Libreville avec beaucoup d’enthousiasme et de fierté, car pour le pays, cet acte marquait un grand pas vers la reconquête de sa souveraineté pétrolière et même économique, par une présence plus significative dans la filière de l’or noir. “A travers cette opération le Gabon n’a fait qu’exercer son droit souverain sur ses ressources naturelles à l’instar d’autres pays. Cet acte historique posé aujourd’hui est un acte de départ traduisant l’intention de reconquérir notre souveraineté et faire en sorte qu’aux yeux des Nations amies, le Gabon immortel reste digne d’envie ”, avait déclaré le président Oligui Nguéma à l’issue de la signature de l’accord dans lequel la République gabonaise avait fait prévaloir son droit de préemption.

Un droit de préemption en langage juridique simplifié, est un droit légal ou contractuel permettant à son titulaire d’acquérir une chose en priorité lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de la vendre.

La préemption est un régime d’exclusivité temporaire, une opportunité d’acquisition, en l’espèce en matière de cession de biens, avant qu’elle ne soit ouverte à la concurrence de plusieurs acquéreurs. L’usage du droit de préemption présume que son titulaire a les moyens de matérialiser l’acquisition. Cette décision du Président de la République résultait du Décret n°0021/PR/MPGM du 20 janvier 2022 fixant les modalités d’exercice du droit de préemption de l’État sur les transferts et cessions des titres sociaux des personnes morales détenant des participations dans les contrats de partage de production (JO 2022‐ 152 bis). L’État a donc décidé d’exercer ce droit pour des motifs d’intérêt général en vue de contrôler sa production pétrolière et sécuriser un secteur hautement stratégique pour le pays.

C’est donc fort de ce droit de préemption, que le 15 mai 2024, le fonds d’investissement américain Carlyle et la Gabon Oil Company (GOC) s’accordaient pour le rachat d’Assala, en présence du chef de l’État Brice Clotaire Oligui Nguema.  Assala Gabon a été créée en 2017 et est née de l’ex-Shell Gabon, une importante société anglo-néerlandaise dont les actifs ont été rachetés par le fonds américain Carlyle après avoir décidé de se retirer du Gabon en 2016.

Spécialisée dans l’exploration et la production pétrolière, la société compte à son actif plusieurs champs pétrolifères répartis sur huit permis à savoir ; Rabi-Kounga, Ozigo, Awoun, Gamba/Ivinga et M’Mbende M’Bassou, et des intérêts dans cinq zones inactives (Atora, Avocette, Coucal et Tsiengui).

En faisant valoir son droit préférentiel d’acquérir Assala Gabon à travers la GOC à hauteur de 75%, le Gabon ambitionne enfin devenir un véritable producteur de ses ressources pétrolières et gazières, et ainsi créer un nouvel élan pour l’ensemble de son économie. Ce rachat a été important par les fonds mobilisés et complexe car il concerne également l’ensemble de toutes ces entités, que ce soient celles qui se trouvent à l’extérieur du Gabon que celle qui se trouvent au Gabon.

Raison pour laquelle, cette opération est restée soumise à certaines conditions suspensives pour sa réalisation, car avant l’expiration du délai légal requis pour son droit de préemption, l’État gabonais, aux yeux de certains spéculateurs, a semblé très loin de réunir tous les financements nécessaires pour réaliser cette acquisition, et c’est là où résidait un certain nombre d’incertitudes dans ce droit de préemption :

  • L’incertitude pour les vendeurs et acheteurs privés.

Cette procédure de préemption  était source d’incertitude pour le vendeur, qui devait attendre la décision de l’autorité préemptrice avant de pouvoir finaliser la vente avec un acheteur privé, ce qui d’un autre côté, pouvait décourager de potentiels acheteurs et réduire le nombre d’offres et affecter le prix de vente.

  • La complexité administrative.

Sa mise en œuvre a surement impliqué des procédures administratives complexes et longues, avec des formalités et des délais qui auraient pu retarder les transactions.

  • Les conflits d’intérêts.

Les propriétaires pouvaient percevoir ce droit de préemption comme une expropriation déguisée, surtout si le prix proposé par l’Etat devait  être inférieur aux attentes du marché. Des contentieux pouvaient ainsi survenir, si les propriétaires avaient contesté la légitimité de la préemption ou le prix proposé.

Le droit de préemption est donc un aspect d’une incertitude économique, car par son exercice, les pouvoirs publics ne se limitent plus à contrôler la vie économique, ils y participent. Malheureusement, on ne peut pas mêler l’exercice des prérogatives régaliennes d’un état et les transactions commerciales, sans l’inévitable risque de recourir à des emprunts susceptibles de gonfler la dette de l’Etat ou de s’exposer à la corruption.

Face à toutes ces incertitudes, cette transaction nous avait paru donc moins facile qu’elle n’y paraissait pour le Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI), six mois après qu’il ait eu à exprimer sa volonté d’exercer son droit de préemption sur le rachat d’Assala. Cette opération, d’un montant de 1,3 milliard $, soit l’équivalent de près de 800 milliards FCFA, qui était jugée très délicate, vient de connaitre son épilogue avec succès contrairement aux nombreuses réactions qui appelaient l’État gabonais à recourir à une convention de portage.

En effet, certains experts du monde pétrolier avaient plutôt invité l’État gabonais à se rapprocher du secteur privé et d’autres entreprises afin de lever des capitaux pour racheter les actifs d’Assala. Mais c’était sans compter avec la détermination du CTRI et du Président Brice Clotaire Oligui Nguema d’user du droit de préemptions sur le pétrole gabonais.

La convention de portage est un dispositif qui permet à un professionnel (le « porté ») de travailler de manière indépendante tout en bénéficiant du statut de salarié. Le « portage » est une stratégie qui consiste à acheter des actifs à rendement élevé et à vendre des actifs à rendement faible. C’est une prime de risque alternative qui affiche un rendement positif la plupart du temps.

En général, un État souverain agit pour maximiser ses bénéfices, tout en minimisant les risques. Tel est son rôle dans les questions liées aux ressources naturelles. L’État peut hésiter à prendre des risques financiers pour ce genre d’opération, mais en se contentant simplement de collecter des impôts et laisser les investisseurs prendre des risques à sa place. C’est en cela qu’une convention de portage, aux yeux de ses promoteurs, semble plus adaptée dans le cadre d’une telle transaction.

Selon les défenseurs de la convention de portage, elle a pour principaux avantages :

  • La Simplicité Administrative, car l’entreprise de portage s’occupe de toutes les démarches administratives, comptables et fiscales, libérant ainsi le porté (ici l’Etat gabonais) de toutes formalités complexes liées à la gestion d’une telle opération ;

 

  • Les entreprises de portage proposent souvent des formations, des outils de gestion, des réseaux professionnels et des conseils en développement de carrière. Par cette convention, l’Etat pouvait bénéficier d’un accompagnement et du support de l’entreprise de portage.

Mais,  l’État gabonais avait donc décidé d’exercer son droit de préhension pour devenir le nouveau repreneur de la société Assala, qui comprenait en autre Assala Trading, Assala Upstream et Assala Energy UK. Avec une production quotidienne de 52 000 barils par jour (b/j), Assala Gabonais est le deuxième producteur de pétrole du Gabon avec une production annuelle de 18,8 millions de barils en 2023, derrière Perenco (34,5 millions de barils).

A travers le rachat d’Assala, le Gabon contrôle désormais 25% de la production pétrolière nationale, ce qui sans conteste, marque un  grand pas dans la reconquête de sa souveraineté pétrolière (voire économique), dans un secteur qui, génère 60 % des recettes fiscales et 80 % des revenus d’exportation.

Le succès de cette opération confirme ainsi la capacité du Gabon à gérer et contrôler désormais des enjeux économiques prépondérants, dans un contexte où l’industrie pétrolière demeure toujours un pilier incontournable de son économie.

Au total, ce rachat d’Assala traduit la détermination du Gabon  à maîtriser et à exercer une emprise accrue sur ses ressources stratégiques, renforçant ainsi sa souveraineté énergétique. En effet, depuis 67 ans, l’activité pétrolière au Gabon est restée sous le contrôle des multinationales étrangères. C’est à partir de 2010, que les premières tentatives de reprise en main du secteur pétrolier,  furent amorcées par l’ancien président Ali Bongo Ondimba et l’Organisation Nationale des Employés du Pétrole (ONEP), avec la « gabonisation des postes » et la création de la  Société Nationale des Hydrocarbures (GOC), dont la gestion fut malheureusement marquée par de gros scandales financiers, toute chose qui aujourd’hui, suscite plusieurs questionnements au regard de la liaison nocive entre la politique et le monde du pétrole au Gabon. Saura-t-on éviter à Assala Gabon de connaitre les mêmes travers que la GOC ? Maintenant que le Gabon est passé du statut de pays détenteur à celui de pays producteur de pétrole, saura-t-il répondre aux défis technologiques et d’innovation qu’impose ce secteur ?

Jonathan NDOUTOUME NGOME ;   Docteur en Géopolitique et Géostratégie du Pétrole, Maitre-assistant (CAMES) des universités;  Ancien fonctionnaire de la Direction Générale  des Hydrocarbures (DGH)/Ministère du Pétrole et des Hydrocarbures; Ancien Ministre de la République.

Amour NZIENGUI MOMBO; Doctorant en Géoéconomie; Fonctionnaire au Ministère de l’Economie et des Participations

 

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