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Tribune libre : Psychologie électorale au Gabon : quand la précarité dicte le choix des urnes

 Les élections législatives et locales organisées récemment dans le cadre de la Cinquième République ont suscité un vaste débat au sein de l’opinion nationale. Présentées comme une étape décisive du processus de refondation institutionnelle engagé depuis la Transition, ces élections ont révélé une fois de plus les profondes failles du comportement électoral au Gabon. Derrière les chiffres et les résultats, une réalité s’impose : le vote gabonais obéit encore davantage aux logiques de survie et de dépendance qu’à celles de la conviction politique ou de la citoyenneté éclairée.

Par Louis-Paul MODOSS ; Analyste économique et politique

Un scrutin aux zones d’ombre persistantes

Malgré la volonté affichée des nouvelles autorités de rompre avec les pratiques du passé, de nombreuses irrégularités ont été signalées sur le terrain : utilisation non conforme des procurations, transport organisé d’électeurs, procès-verbaux parallèles, absence de transparence dans certains bureaux de vote.
Autant de pratiques qui entretiennent la méfiance d’une partie de l’opinion publique vis-à-vis du processus électoral et questionnent la sincérité du scrutin. Mais au-delà des problèmes techniques, c’est bien la psychologie de l’électorat gabonais qui demeure au centre des interrogations.

Un électorat plus sensible au “don” qu’au “discours”

Sur le terrain, les constats sont récurrents. Pour une grande majorité des citoyens, le vote ne repose pas sur l’adhésion à un programme politique ou à une vision de développement, mais sur la capacité d’un candidat à satisfaire un besoin immédiat.
Dans plusieurs circonscriptions, il n’était pas rare de voir des électeurs troquer leur suffrage contre quelques billets de 5 000 ou 10 000 francs CFA, un sac de riz ou un bidon d’huile. Une pratique que beaucoup justifient par la pauvreté ambiante et la rareté des opportunités économiques.

Cette réalité sociologique, connue de longue date, illustre un phénomène profondément enraciné : le clientélisme électoral. Une mécanique bien huilée, où le candidat se transforme en bienfaiteur temporaire, et où l’électeur, par nécessité, cède son pouvoir de décision pour un bénéfice matériel éphémère.

Quand la précarité devient un instrument politique

« Il est plus facile de manipuler une population pauvre et non instruite qu’un peuple conscient de ses droits », affirmait un penseur africain.
Cette phrase résume tristement la situation gabonaise. Car la réalité du “Gabon profond” montre une population souvent laissée pour compte, où la misère et l’absence de services publics de base poussent les citoyens à accorder leur confiance à ceux qui “donnent aujourd’hui”, plutôt qu’à ceux qui “promettent demain”.

Les acteurs politiques, parfaitement conscients de cette psychologie collective, ont depuis longtemps intégré cette logique dans leur stratégie électorale. Peu de programmes structurés, peu de débats de fond : à la place, la distribution d’enveloppes, de gadgets et de denrées. L’achat de conscience devient ainsi la norme tacite du jeu politique.

Un déficit criant de culture civique

Ce comportement électoral n’est pas seulement la conséquence de la pauvreté. Il résulte également d’un manque chronique d’éducation civique.
Nombreux sont les électeurs qui ignorent encore la véritable portée de leur bulletin de vote et le rôle d’un député ou d’un conseiller local. Dans certaines zones rurales, la confusion entre “l’État”, “le candidat” et “le bienfaiteur” reste totale.

L’école, les médias et les institutions communautaires ont encore un immense travail à mener pour former des citoyens conscients, capables d’évaluer un candidat sur la base de ses idées et non de ses largesses.

Vers une refondation du lien citoyen

Pour sortir de cette spirale, deux leviers apparaissent essentiels.
D’abord, améliorer les conditions de vie des populations. Tant que les Gabonais vivront dans la précarité, la tentation du vote contre récompense matérielle persistera. L’État doit renforcer la lutte contre la pauvreté, soutenir l’emploi local, et rendre les services publics plus accessibles.
Ensuite, renforcer l’éducation civique et citoyenne. La refondation de la Cinquième République ne pourra réussir sans un électorat formé, conscient et exigeant vis-à-vis de ses dirigeants.

Un défi majeur pour la Cinquième République

L’entrée dans la Cinquième République, marquée par la volonté des autorités compétentes de redéfinir les bases de la gouvernance, représente une occasion unique d’inverser la tendance.
Si le Gabon veut bâtir une démocratie véritablement participative, il devra investir autant dans la formation du citoyen que dans la réforme des institutions.
Car une élection n’a de valeur que si le choix qu’elle consacre émane d’une volonté libre et éclairée.

En sommes, Aussi longtemps que le vote restera un acte marchand, la démocratie gabonaise restera fragile.
Pour espérer des élections véritablement transparentes et responsables, il faudra d’abord transformer la mentalité électorale.
Un électeur conscient de sa force est plus puissant que n’importe quel discours politique. C’est de cette prise de conscience que dépendra, en grande partie, l’avenir démocratique du Gabon.

 

 

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