Alors que le secteur minier représente une manne stratégique pour l’économie gabonaise, les pratiques de gestion contractuelle suscitent toujours des interrogations majeures sur leur transparence. Malgré les engagements pris dans le cadre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et les exigences de la Loi n°037/2018 sur la réglementation du secteur minier, de nombreuses conventions minières restent non publiées ou partiellement accessibles. Une situation qui freine la mobilisation optimale des ressources fiscales et compromet la confiance des citoyens et des partenaires internationaux.
Louis-Paul MODOSS ; Chroniqueur économique
Un potentiel minier sous-exploité fiscalement
Le Gabon dispose d’un sous-sol riche et varié : manganèse, fer, or, terres rares, uranium, etc. En 2024, les produits miniers représentaient environ 6 % du PIB et 15 % des exportations, mais moins de 3 % des recettes fiscales directes de l’État selon la direction générale des impôts. Ce décalage interpelle : alors que les prix mondiaux sont en hausse, les recettes minières stagnent, en partie du fait d’exonérations opaques et de conventions peu ou pas publiées.
Le cas emblématique de Belinga : un contrat fantôme ?
Le 7 février 2023, l’État gabonais a signé à Dubaï une convention minière avec Ivindo Iron SA, filiale du géant australien Fortescue, pour l’exploitation du gisement de fer de Belinga (4 500 km²). Or, cette convention n’a jamais été publiée dans sa version intégrale, violant ainsi les articles 8 et 16 du Code minier, qui imposent la publicité préalable des contrats.
Seul un avis n°005/CC du 28 mai 2023 fait référence au contrat, sans permettre d’en connaître les termes fiscaux, sociaux ou environnementaux. Ce manque de transparence rend impossible toute évaluation indépendante de son impact économique pour l’État gabonais.
Multiplication des permis non déclarés
Entre 2017 et 2024, plus de 60 permis de recherche et d’exploitation ont été délivrés à des opérateurs tels que NoGa Mining, Global Mine Development, Salor, Yinhe Mining ou encore Managem. Pourtant :
- Aucun registre public exhaustif n’est accessible en ligne ;
- Plusieurs titres ne figurent pas dans les rapports ITIE ou les bilans du ministère des Mines ;
- La liste des bénéficiaires effectifs des sociétés reste largement non divulguée, alors que cela constitue une exigence ITIE (norme 2.5).
Conséquence directe : les risques de fraude, de sous-déclaration, d’évasion fiscale et de conflits d’intérêt se multiplient, affaiblissant la gouvernance du secteur extractif.
Un enjeu de recettes publiques : des milliards perdus
Selon une estimation croisée entre la Cour des Comptes et l’ITIE Gabon, le manque à gagner annuel dû à l’opacité contractuelle pourrait dépasser 100 milliards de FCFA (≈ 150 millions d’euros), soit plus de 3 % du budget de l’État. Ce déficit s’explique par :
- L’absence de clauses de stabilisation fiscale clairement négociées ;
- Des exonérations ad hoc non justifiées par des études de faisabilité (article 25 de la loi minière) ;
- Le contournement des appels d’offres, qui prive l’État d’une valorisation concurrentielle de ses ressources.
Les réformes urgentes attendues
Pour sortir de cette zone grise, plusieurs mesures sont recommandées par les experts et organismes internationaux :
- Publication immédiate de toutes les conventions minières ;
- Création d’un registre électronique des titres miniers, interopérable avec les services des impôts et du Trésor ;
- Divulgation systématique des bénéficiaires effectifs de toutes les sociétés titulaires de permis.
Sortir de l’exception, entrer dans la norme
La transparence contractuelle n’est pas une option morale : c’est une exigence économique, juridique et budgétaire. Dans un contexte de diversification des recettes hors pétrole, les ressources minières doivent devenir un levier structurant de croissance inclusive et durable. Cela passe par un État stratège, exigeant et responsable.
À l’heure où le Gabon entend redevenir un acteur crédible sur la scène internationale, sortir de l’opacité contractuelle est le premier pas vers une gouvernance minière efficace, équitable et souveraine.