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Eglises du Gabon : Spiritualité florissante, éthique absente; une équation économique et sociale préoccupante

Au Gabon, pays riche en ressources naturelles mais à la trajectoire économique irrégulière, un paradoxe déroutant s’impose depuis des décennies : la croissance continue de la religiosité ne s’accompagne pas d’un progrès moral, social ni économique significatif. Alors que les églises, cathédrales et communautés pentecôtistes se multiplient à Libreville, Port-Gentil ou Oyem, les fondamentaux économiques restent fragiles, la corruption omniprésente et la gouvernance publique minée par l’opacité.

 

Louis-Paul MODOSS ; Chroniqueur économique

Un pays croyant, mais socialement vulnérable

Le Gabon compte environ 5 000 églises, toutes confessions confondues, pour une population de 2,3 millions d’habitants (Direction Générale des Affaires Religieuses, 2022). Plus de 85 % de la population se réclame du christianisme, avec une forte majorité de catholiques et de protestants évangéliques.

Cette ferveur religieuse, omniprésente dans les discours, les médias et la culture populaire, ne se traduit pourtant pas par une amélioration des indicateurs éthiques ni économiques.

Quelques chiffres clés :

  • Classement IDH (Indice de Développement Humain) : 112e sur 193 pays (PNUD, 2023)
  • Indice de perception de la corruption : 124e sur 180 (Transparency International, 2023)
  • Classement Doing Business (avant sa suspension) : 169e sur 190 en 2020
  • Chômage des jeunes : estimé à plus de 35 %

Foi et éthique publique : une fracture manifeste

Le message biblique est pourtant clair en matière de gouvernance :

  • « Tu ne voleras point » (Exode 20:15),
  • « Malheur à ceux qui font des lois iniques… » (Ésaïe 10:1),
  • « Que celui qui gouverne le fasse avec zèle » (Romains 12:8),
  • « Aime ton prochain comme toi-même » (Matthieu 22:39).

Mais dans la pratique, les scandales de détournements de fonds publics, les enrichissements illicites, le clientélisme et l’inefficacité des institutions créent un climat d’impunité, alimentant un cycle de méfiance vis-à-vis de l’État.

Un capital religieux peu productif économiquement

Le paradoxe est saisissant : le capital religieux du Gabon est abondant, mais il ne se convertit pas en capital éthique, ni en capital social. La religion occupe une place centrale dans la vie des citoyens, mais ne produit que peu d’effets sur les comportements économiques, la gestion publique ou l’entrepreneuriat responsable.

Les dons religieux représentent des millions de francs CFA chaque mois. Pourtant, peu de mécanismes assurent la traçabilité ou la contribution au développement local.

Comparer avec les pays à forte éthique publique

À l’échelle mondiale, des pays comme la Suède, la Norvège, le Japon ou la Corée du Sud – où les populations sont largement sécularisées – affichent des niveaux élevés :

  • de transparence institutionnelle,
  • de discipline économique,
  • de respect des règles collectives,
  • et de bien-être humain.

Par exemple :

  • Suède : seulement 20 % de croyants, mais 5e IDH mondial.
  • Japon : 30 % de croyants, mais 19e IDH et 18e sur l’indice de corruption.

Alors, pourquoi le Gabon, où Dieu est omniprésent dans les discours, reste-t-il prisonnier d’une gouvernance inefficace et d’un tissu économique instable ?

Analyse économique : une religion sans transformation systémique

Le cœur du problème semble être là : la religion au Gabon reste largement déconnectée de l’éthique publique et de la responsabilité collective.

La foi, perçue comme affaire privée ou émotionnelle, ne s’exprime pas dans les institutions, les lois, la gestion des finances publiques ou les politiques économiques. On prie pour l’emploi, mais on ne réforme pas l’enseignement technique. On jeûne pour le développement, mais on entretient les systèmes d’exclusion et de rente.

De la ferveur à l’impact

Le Gabon n’a pas besoin de moins de spiritualité. Il a besoin d’une spiritualité qui produit de la responsabilité, de la transparence et du progrès collectif.

La foi peut être un moteur de transformation économique si elle s’ancre dans les systèmes, pas seulement dans les émotions. Il est temps de passer d’une foi déclarative à une foi transformatrice, où la parole divine se traduit en décisions justes, en politiques inclusives, et en éthique de gestion.

Ce serait là le vrai réveil gabonais.

 

 

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