Le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, a récemment annoncé une décision majeure : la suspension des bourses d’études vers les États-Unis et le Canada. Cette décision, bien que controversée, s’appuie sur un constat amer : l’État gabonais investit massivement dans la formation de ses étudiants à l’étranger, mais peu d’entre eux reviennent servir le pays. Un phénomène qui constitue, selon les autorités, un « manque à gagner » stratégique et un « investissement non rentabilisé ».
Par Louis-Paul MODOSS; Chroniqueur économique

Un investissement public aux retours incertains
Chaque année, des dizaines de jeunes Gabonais brillants sont envoyés dans des universités nord-américaines grâce au soutien financier de l’État. Or, une fois leur diplôme en main, la majorité d’entre eux choisit de rester dans leur pays d’accueil, attirés par de meilleures opportunités d’emploi, des perspectives de carrière stables et un environnement professionnel plus transparent et compétitif. Ce phénomène de fuite des cerveaux, bien connu en Afrique, n’épargne pas le Gabon.
Pourtant, tout étudiant boursier de l’État est lié par un engagement décennal, une clause contractuelle l’obligeant à revenir travailler dans son pays pendant au moins dix ans. Mais en pratique, cet engagement est souvent ignoré, et les mécanismes de suivi ou de sanction restent faibles, voire inexistants.
Comprendre les raisons du non-retour
La question n’est pas tant de savoir pourquoi ces jeunes ne reviennent pas, mais quelles sont les conditions qui les en dissuadent. Plusieurs éléments sont mis en avant :
- Une inadéquation entre la qualité des emplois offerts au Gabon et le niveau de qualification des diplômés ;
- Le manque de transparence dans les processus de recrutement, souvent minés par le népotisme, les favoritismes et l’opacité administrative ;
- Des structures administratives rigides et obsolètes, peu ouvertes à l’innovation ou à l’entrepreneuriat ;
- Un environnement des affaires fragile, où les jeunes diplômés peinent à s’insérer ou à valoriser leur expertise.
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que ces jeunes talents préfèrent rester là où ils peuvent évoluer, contribuer, et vivre dignement du fruit de leur savoir.
Une décision à double tranchant
La suspension des bourses vers l’Amérique du Nord suscite donc une double lecture. D’un côté, l’État veut rationaliser ses dépenses et s’assurer que ses investissements dans l’éducation aient un impact direct sur le développement national. De l’autre, la coupure brutale des bourses pourrait priver le pays de futurs experts formés dans des pôles académiques de référence mondiale, particulièrement dans des filières de pointe.
Car le véritable enjeu n’est pas l’octroi de bourses en soi, mais leur finalité. De nombreux pays émergents, notamment en Asie (Chine, Corée du Sud, Singapour), ont adopté une stratégie ciblée : envoyer leurs étudiants dans les meilleures universités occidentales pour acquérir des compétences techniques et scientifiques, avant de les réintégrer dans des secteurs clés, en garantissant un emploi valorisant à leur retour. Résultat : ces pays ont pu amorcer leur industrialisation rapide, bâtie sur un capital humain hautement qualifié.
Quelle alternative pour le Gabon ?
Plutôt que de suspendre totalement les bourses, plusieurs observateurs recommandent une réorientation stratégique :
- Limiter les bourses aux filières prioritaires, notamment dans les secteurs industriels, technologiques et scientifiques où le besoin est critique (énergie, ingénierie, IA, géosciences, etc.) ;
- Négocier des accords ciblés avec des universités de renom, afin d’assurer un retour sur investissement ;
- Créer un système de suivi post-études permettant de recenser, accompagner et intégrer les diplômés dans les structures publiques et privées locales ;
- Améliorer en parallèle l’environnement de travail au Gabon, en instaurant une véritable culture de la méritocratie, de l’innovation et de l’entrepreneuriat.
La récente décision de transformer localement 100 % du manganèse gabonais à partir de 2029 illustre parfaitement le besoin croissant en ingénieurs, techniciens spécialisés et managers industriels. Cette transformation structurelle exige donc une politique éducative intelligente, proactive et ancrée dans les réalités économiques.
Former à l’étranger, mais bâtir au pays
Il ne s’agit pas d’opposer la formation à l’étranger et le développement local, mais de créer un pont entre les deux. Le Gabon a besoin d’un capital humain compétitif, formé aux meilleurs standards mondiaux. Mais pour attirer ces talents, le pays doit leur offrir des perspectives dignes de leurs compétences. Sans cela, les jeunes continueront de fuir un système qu’ils jugent fermé, figé et inéquitable.
La décision présidentielle, bien qu’impopulaire pour certains, pose une question essentielle et légitime : pourquoi former à grand frais des élites si elles ne reviennent pas servir ? La réponse n’est pas seulement juridique, elle est surtout structurelle : le Gabon doit devenir un pays où il fait bon de revenir, travailler et innover.
L’enjeu n’est pas de restreindre l’ambition des jeunes Gabonais, mais de leur donner une raison forte de croire et d’investir dans leur propre pays. Une réforme de fond du système éducatif, du marché du travail et de la gouvernance publique est donc incontournable, si l’on souhaite réellement tirer profit de l’investissement national dans le savoir.