Lors du Conseil des ministres du 30 mai 2025, le Chef de l’État gabonais, Brice Clotaire Oligui Nguema, a instruit le Gouvernement de mettre en place un plan opérationnel d’une centrale d’achats publique des produits de première nécessité, dans un délai de 45 jours. Cette mesure vise à répondre à l’urgence sociale, marquée par la flambée des prix et l’érosion du pouvoir d’achat des ménages gabonais. Une réforme structurante, inédite par son ambition, qui interroge sur sa faisabilité, ses impacts et ses potentielles limites.
Par Louis-Paul MODOSS ; Chroniqueur économique
Objectifs de la centrale d’achat :
Selon le communiqué officiel du Conseil des ministres :
« Cette structure publique aura pour mission d’approvisionner le marché national en produits essentiels à des prix maîtrisés, de stabiliser les coûts, de réduire la spéculation et d’assurer une distribution équitable sur tout le territoire. »
En d’autres termes, la future centrale d’achat devra :
- Acheter des produits alimentaires, pharmaceutiques, ménagers et sanitaires en gros à des prix négociés ;
- Constituer des stocks stratégiques, capables d’absorber les chocs de prix liés aux importations ou aux pénuries ;
- Servir d’intermédiaire entre les fournisseurs internationaux, les producteurs locaux et les circuits de distribution ;
- Encadrer les marges pratiquées par les grossistes et détaillants.
Faisabilité technique et institutionnelle
- Cadre juridique et institutionnel :La création d’une centrale d’achat publique suppose un décret d’établissement, une structuration administrative claire (direction générale, antennes régionales), et un mode de gestion public-privé hybride pour rester compétitive.
- Coordination interministérielle :La réussite dépendra d’une synergie entre les ministères de l’Économie et finance, du Commerce, de l’Agriculture, et des Transports.
- Logistique & distribution :La viabilité de la centrale repose sur un réseau logistique performant (entrepôts, camions, points de vente partenaires) et une base de données nationale sur les besoins de consommation des populations.
- Ressources financières :Un fonds spécial de soutien à la régulation des prix devra être créé pour couvrir les pertes potentielles générées par la vente de produits à prix subventionnés.
Enjeux socio-économiques majeurs
- Stabilisation des prix :La centrale pourrait casser les cycles de spéculation en régulant l’offre disponible et en influençant les prix sur les marchés urbains et ruraux.
- Réduction de la pauvreté :En ciblant les produits de première nécessité (riz, huile, sucre, farine, savon, gaz butane, médicaments de base), elle vise les couches sociales les plus vulnérables.
- Renforcement de la souveraineté économique :La constitution de stocks stratégiques protège le pays contre les chocs d’approvisionnement, notamment en période de crises sanitaires, climatiques ou géopolitiques.
- Dynamisation de la production locale :Si bien intégrée, la centrale pourrait aussi garantir des débouchés stables aux producteurs locaux, notamment agricoles, et encourager la transformation locale.
Limites et risques à anticiper
- Risque bureaucratique et inefficacité :Une mauvaise gestion, une lourdeur administrative ou des conflits interinstitutionnels pourraient handicaper la réactivité et l’agilité de la centrale.
- Effet de distorsion du marché :Une régulation excessive des prix sans équilibre économique pourrait décourager les importateurs privés et créer des déséquilibres sur le long terme.
- Problèmes de corruption et détournements :L’attribution des marchés, la gestion des stocks et la chaîne de distribution peuvent être vulnérables aux pratiques frauduleuses, sans mécanisme de contrôle indépendant.
- Durabilité financière :Le financement des subventions et des infrastructures logistiques peut peser sur le budget de l’État, surtout si les recettes fiscales baissent ou si les prix mondiaux augmentent.
La mise en place d’une centrale d’achat des produits de première nécessité constitue une réponse forte et symbolique du Gouvernement gabonais face à la pression sociale actuelle. Si elle est bien pensée, bien financée et bien gérée, elle peut devenir un levier de régulation efficace au service du pouvoir d’achat des citoyens.
Toutefois, pour assurer sa durabilité et éviter l’effet « usine à gaz », elle devra s’appuyer sur :
- Une gouvernance rigoureuse ;
- Une transparence dans les appels d’offres et les circuits de distribution ;
- Une articulation intelligente avec le secteur privé.
Le plan opérationnel promis sous 45 jours sera donc un test clé pour évaluer la capacité de l’État à traduire cette ambition sociale en mécanisme économique concret, équitable et viable.