Maitre Louis Gaston Mayila,
Tu as tiré ta révérence un 04 février 2025 après une vie très riche d’expériences. Tu as quitté cette terre pour aller rejoindre le royaume de l’au-delà, royaume des ancêtres, royaume de tes ancêtres qui préside à la subsistance et à la vie quotidienne des mortels et qui lui apporte protection et conseil. Inévitablement, tu prends le rôle d’ascendant, d’ancêtre, en tout cas tu joues maintenant le rôle de protecteur et / ou de conseiller de tes descendants et de tes proches restés sur terre, comme nous l’enseigne la sagesse Bantu.
Maitre Louis Gaston Mayila,
Ce vocable de Maitre qui t’a été donné comme titre par ton métier d’avocat doit être généralisé. Il ne s’arrête pas au domaine juridique puisque tu as été maitre dans plusieurs autres domaines. Tu as été maitre dans les domaines politique, culturo- spirituel, et même celui des affaires.
Comme ton Maitre à toi, le Président Omar Bongo Ondimba, tu puisais dans nos traditions mais aussi dans la modernité l’art de la gestion des conflits et de l’arbitrage des intérêts différents.
Ton seul crédo était : Travailler vite et bien. Crédo que t’avait enseigné ton Maitre, Omar Bongo Ondimba et que tu as enseigné en retour à tes élèves.
Les deux partis politiques que tu as créés étaient des écoles politiques mais aussi des écoles de vie. On y entrait avec des préjugés d’une connaissance du terrain politique gabonais et on en sortait avec une connaissance un peu plus maitrisée de ce champ politique. L’on s’y créait un capital relationnel très important ouvrant de nombreuses portes dans la vie.
Chacun de tes élèves a pu exploiter ces connaissances à sa guise. Elles m’ont permis d’écrire mon premier livre scientifique intitulé : Les élections politiques au Gabon, publié aux éditions l’Harmattan en 2015.
Dans l’art de la négociation et la médiation, par exemple, c’est à toi que l’on doit la création de l’Alliance pour le Changement la Restauration (ACR), alliance politique portée par l’illustre homme politique Pierre Mamboundou Mamboundou et qui a failli renverser le pouvoir du Parti Démocratique Gabonais aux élections présidentielles de 2009. Ton génie politique aura consisté à mettre sur la même table des discussions et des négociations, le défunt Pierre Mamboundou Mamboundou de l’UPG et le Maitre Séraphin Ndaot de l’Alliance Nationale des Bâtisseurs (ANB) de l’époque pour construire l’ACR. Cette rencontre était la moins évidente possible à cause du différend politique qui avait opposé ces deux partis pour la gestion de la Mairie de Port-Gentil.
C’est aussi à toi que l’on doit la rencontre et la collaboration entre le Président Omar Bongo Ondimba et son opposant Pierre Mamboundou Mamboundou. Ta maitrise des correspondances claniques et lignagères du Gabon t’a fait rapprocher de Pierre Mamboundou Mamboundou et que tu as ensuite introduit chez le Président Omar Bongo Ondimba, avant que ne s’en suive une collaboration républicaine chez les deux personnalités. Tu le disais toi-même : « Ce n’était pas une œuvre facile, il m’a fallu douze approches face à Pierre Mamboundou Mamboundou, mon papa sur le plan clanique, pour qu’il accepte de rencontrer Omar Bongo Ondimba ».
Cette rencontre, on le sait aurait pu faire basculer le Gabon vers un autre avenir car le Président Omar Bongo Ondimba, avait souhaité qu’à sa mort, un des mentors politique de son fils Ali Bongo Ondimba, soit Pierre Mamboundou Mamboundou. Et le Président Ali avait commencé à l’introduire dans la gestion de la politique gabonaise : Après sa prise de pouvoir en 2009, il l’avait désigné comme un des membres du groupe devant résoudre le différend frontalier qui nous oppose à la Guinée Equatoriale concernant la souveraineté des iles Mbanié, Cocotiers et Conga.
Maitre Louis Gaston Mayila,
Disciple du Président Omar Bongo Ondimba, il t’a initié à la coopération multilatérale souterraine. Il t’envoyait négocier, défendre et promouvoir les intérêts du Gabon à l’extérieur. En ce sens, le Président Omar Bongo Ondimba, voulant lutter contre la précarité au Gabon, t’avait confié la mission de créer une institution d’assurance maladie et de garantie sociale, à l’exemple du cas français. Tu fis des voyages au Maroc et en France en 2007-2008, sorte des bains d’immersion, pour asseoir juridiquement, administrativement et financièrement la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS). La mémoire te doit la réalisation de cette institution.
La mémoire te doit aussi les navettes discrètes entre le Président Omar Bongo Ondimba et le Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga, né Joseph Désiré du Zaïre pour réchauffer notre coopération bilatérale. Cette haute personnalité africaine n’a jamais cessé de te prodiguer ses conseils de son vivant ; tu disais qu’il était un autre papa pour toi.
Que dire des navettes souterraines entre le Gabon et l’ANC de Nelson Mandela ? Tu as joué ta partition dans les rapports avec l’ANC, l’Afrique du Sud et le Gabon. Tu étais même un citoyen sud-africain et cette citoyenneté t’avait été octroyée par le légendaire et charismatique Nelson Mandela en personne. Tu as été au centre de cette coopération bilatérale qui se traduit aujourd’hui par des échanges très étroits sur les plans de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Ton Maitre, le Président Omar Bongo t’appelait affectueusement « Mon Bulldozer », tant tu exécutais « vite et bien », les missions qu’il te confiait. Ta vie politique a été consacrée au service du Président Omar Bong Ondimba.
Tu détenais forcément quelques connaissances des rapports entre la France et le Gabon. Tu as été mandataire auprès de plusieurs personnalités de gauche et de droite car ton maitre politique refusait de choisir entre la gauche et la droite, entre le socialisme et le capitalisme. « Ni à gauche, ni à droite mais toujours de l’avant », disait-il. L’important pour lui était de composer avec la position de force du moment pour les intérêts du Gabon.
Cette posture de composer avec celui qui a la faveur des rapports de force a guidé une bonne partie de ta pensée et ton action politique. De nombreux observateurs de la vie politique ne l’ont jamais compris ainsi. Tu le matérialisais en disant toujours : « Si j’ai créé des partis politiques, c’est pour être au cœur de la décision. Lorsque vous n’êtes pas au cœur de la décision, l’on peut vous oublier. En général, on ne pense pas à ceux qui ne sont pas là. Donc, il n’y a que vous-mêmes pour servir vos intérêts ».
Maitre Louis Gaston Mayila,
Non seulement tu as été un maitre dans la transmission et la gestion des connaissances, tu as formé, aidé et protégé et promu de nombreux compatriotes, quelle que soit leur appartenance tribalo-régionale. Tes cabinets politiques épousaient toujours la géopolitique nationale et tu ne t’interdisais pas l’expertise non gabonaise dès que c’était nécessaire. L’unité nationale ? Elle n’était pas un vain mot pour toi mais une pratique. De nombreux cadres gabonais de tous les horizons du pays te doivent leur ascension sociopolitique. Les partis politiques que tu as créés et les très hauts postes de responsabilité que tu as eus t’ont donné la possibilité de promouvoir de nombreux gabonais. Tu pouvais faire d’un chauffeur un député et comme tu le disais toujours, un homme ne doit pas conduire un autre comme lui toute sa vie. Même ton chauffeur devait observer ton action politique pour qu’un jour, il devienne aussi homme politique. En sus, tu ajoutais qu’un homme n’a pas qu’un seul métier dans la vie. La formation pratique reçue à ton école me l’a démontré.
Sur un tout autre plan, tous ceux qui t’ont connu te reconnaissent une chose : le courage.
Nombreux sont ceux qui n’arrivaient pas à dire au Président Omar Bongo Ondimba la vérité sur le développement du Gabon. Ton passage à la tête du Conseil Economique et Social de l’époque a été marqué par tes interventions lors des traditionnels vœux de nouvel an au Président de la République. Tu interpellais le Président de la République sur l’urgence de bâtir un Gabon prospère au risque de voir la situation exploser un jour. Cela pouvait l’agacer mais tu avais le courage de le dire. Avec son expérience développée au fil des années à la tête du pays, ils se saisissaient de la question et la faisaient traitée par l’expertise nécessaire, sans mot dire.
Maitre Louis Gaston Mayila,
Comme tu as été un homme de ton époque, tu as su composer avec les medias. Tu as été un exemple en matière de communication politique. Tu as su cerner l’importance des médias pour véhiculer les messages politiques. Ton verbe, ta culture, ton courage et ton intelligence ont fait de toi un homme télégénique qui, à chaque sortie, disait quelque chose qui faisait bouger la classe politique. Les médias avaient aussi compris que tu comptais sur eux et pour eux, ils te l’ont bien rendu.
A l’époque, tu as créé La Voix Du Peuple, hebdomadaire d’information et d’analyse pour décrypter l’actualité nationale et internationale.
Je ne dirai pas grand-chose sur les affaires que tu as créées par méconnaissance du sujet. Retenons comme exemple à ce sujet que tu as fait la fierté nationale de l’aviation civile en créant la Société Air Inter. Cette entreprise a eu ses lettres de noblesses.
Vabe Ngund, (ici se trouvait la forêt vierge)
C’est ton nom de guerre ou ton kumbu, dans l’initiation bwitiste. Tu n’as jamais cessé de parler de l’importance de cette religion locale dans la vie d’un homme. A juste titre, lors du recueillement devant ta dépouille mortuaire, cette société religieuse t’a rendu un hommage mérité à ton domicile de Digoba, entre Fougamou et Yombi, à environ deux kms dans la forêt.
Pourquoi avoir bâti une maison dans la forêt ?
Ton nom de guerre indique qui tu étais et ta relation avec la nature ou plus précisément le règne végétal. Lieu de ressourcement, d’oxygénation, d’inspiration, de quête personnelle afin de trouver la lumière en soi, de connaissance, d’élévation spirituelle, de robustesse, de méditation, de confrontation de soi, de silence, d’espérance, la forêt est un réservoir de vie.
C’est à Dighoba, que me sont venus l’inspiration et l’écriture du cadre idéologique de l’Union Pour la Nouvelle République (UPNR) en 2008.
Toute ta vie n’a été que recherche de connaissance intellectuelle et spirituelle. Tu as été un homme politique dotée d’une intelligence très vive qui pouvait se mesurer à l’importance de ta bibliothèque personnelle et du nombre de tes écrits. Cette recherche de connaissance ne devrait pas être que livresque, elle devait aussi se chercher dans nos forêts, dans la nature. Pour toi la forêt épousait deux sens : la forêt extérieure et la forêt intérieure, enfouie dans le subconscient de l’être humain. La vie sur terre n’était qu’un travail de défrichement de ces deux forêts.
Tous ceux qui t’ont connu pouvaient effectivement reconnaitre qu’il y’avait une forêt en toi, source de vie, source de vitalité mais avec sa part de mystères.
Tu avais tes travers ? Assurément. Quel être humain n’en a pas ? Mais comme tu le disais, nous sommes venus sur terre pour avoir des expériences qui doivent améliorer nos travers. La vie sur terre est une pérégrination difficile pour améliorer le comportement humain, pour déchiffrer et défricher la forêt enfouie en nous. Au fil des expériences, face aux difficultés d’affronter la forêt, nous devons nous affiner pour être de plus en plus léger afin que notre esprit puisse naviguer dans les zones éthérisées. C’est le sens de la maison que tu as construite dans la forêt et que tu as nommée Dighoba, c’est-à-dire le respect.
Respect pour l’être humain qui se bat contre la forêt, c’est-à-dire contre ses peurs, contre ses démons, contre les mystères de son esprit. Respect pour l’être humain qui construit dans la forêt et y crée une part de lumière dans cette pénombre. Respect pour l’être humain qui rentre en contact avec la forêt, car il peut bénéficier des bienfaits de cette dernière. Pour toi, il était admis que l’esprit humain devait chercher à voguer dans les régions pures de l’atmosphère.
Adieu cher Maitre ! Adieu Vabe Ngund !
Dr Fortuné Matsiegui Mboula
Enseignant-chercheur
Maitre-Assistant (CAMES)
Département de Sociologie/ Université Omar Bongo.