L’actuel président de la commission de la communauté économique des états de l’Afrique centrale veut, de son propre chef, délocaliser le siège de l’institution basée à Libreville depuis sa création. Une manœuvre qui risque de plomber le renforcement de l’intégration sous régionale : fondement même de cette institution internationale.
« J’étais avec le président de la république pour faire une feuille de route du travail que doit mener le Gabon aux côtés de la Ceeac. Nous avons échangé dans un premier temps avec les membres du CTRI, puis en tête-à-tête, pour essayer de ficeler le plan. Aujourd’hui, on a les bases d’un plan pour la Ceeac, qui est basée au Gabon, pour accompagner cette transition en cours », declarait Gilberto Da Piedade Verissimo, le président de la commission de la Ceeac. Le diplomate angolais, sortait d’une audience qu’il a eue avec le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, président de la transition, chef de l’état. C’était, le 10 octobre 2023. Le Gabon avait été suspendu de l’institution sous régionale au lendemain de la prise du pouvoir par les militaires, le 30 août 2023.
Quelques jours seulement après l’entretien avec le président de la transition, le diplomate semble avoir changé de trajectoire.
Selon certaines indiscrétions, le personnel de l’institution basée à Libreville aurait été déjà informé de la délocalisation de l’institution, le 3 janvier prochain, à Malabo, en Guinée Équatoriale. Raison, la situation intervenue au Gabon, le 30 août dernier, avec le coup de libération perpétré par les forces de défense et de sécurité suite à la proclamation des résultats tronqués de la présidentielle du 26 août dernier. Un acte adoubé par les gabonais dans leur grande majorité.
D’ailleurs, depuis lors, nombre d’institutions ayant sanctionné le Gabon ont vite repris langue avec Libreville, convaincues par le travail de normalisation réalisé par le CTRI envers ses partenaires. De plus, le coup de force, qui s’est déroulé sans heurts ni effusion de sang, et qui a annulé les élections générales du 26 août dernier, pour une transition politique dont l’objectif est la mise en place des institutions fortes, a eu l’adhésion des gabonais. Et le pays ne connait aucune crise sécuritaire pour justifier la délocalisation d’une institution qu’abrite le Gabon depuis sa création, le 18 octobre 1983. Même lors de la réforme de l’institution intervenue en décembre 2019, le siège a été maintenu au Gabon.
Il est vrai que la sous-région a connu la délocalisation, en septembre 2018, de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) à Malabo. Mais la cause sautait aux yeux : la situation sécuritaire au pays du siège, la Centrafrique. Une situation qui ne plaidait pas pour la quiétude des fonctionnaires de l’institution. En 2020, la Cemac a retrouvé son siège à Bangui après un retour au calme.
Plus loin de nous, la banque africaine de développement (BAD) dont le siège est à Abidjan, a été délocalisé à Tunis, le 1er septembre 2003. Raison, la gave crise sociopolitique débutée en Côte-d’Ivoire en septembre 2002, a gravement remis en cause la sécurité du pays. Une fois le calme revenu, la Bad a retrouvé son siège.
Au Gabon, depuis le 30 août 2023, la paix n’a jamais été menacée. Bien au contraire, le pays fonctionne normalement en dehors du couvre-feu (de minuit à 5h du matin) instauré depuis l’arrivée au pouvoir du CTRI.
Le seul couvre-feu suffit-il pour donner du grain à moudre à la décision du président Verissimo qui tient coûte que coûte à délocaliser la Ceeac?
Pourtant, il y a des pays sur le continent qui ont toujours gardé les sièges des institutions internationales, malgré les conflits armés meurtriers qu’ils ont connus. A preuve ?
Il n’est jamais venu à l’idée du président de la commission de l’union africaine, de délocaliser le siège de l’UA malgré la guerre qui a opposé, pendant deux longues années, le gouvernement fédéral éthiopien au front de libération du peuple du Tigré au nord de l’Éthiopie. Pourtant, selon le rapport de l’ICHREE, cette guerre a causé des meurtres de masse, des actes de torture, des viols systématiques… avec à la clé un bilan de près de 600.000 victimes.
Au moment où le calme règne et que les institutions qui ont condamné le coup de libération du 30 août dernier reviennent à de meilleurs sentiments, l’attitude du président de la commission de la Ceeac s’inscrit dans une logique de diplomatie inconvenante que la prochaine réunion du conseil de coordination des états partenaires (CCEP) devrait corriger, afin d’éviter à l’institution d’entrer dans une zone de turbulences aux conséquences fâcheuses.
Jean-Yves Ntoutoume