Pyramid Medias Gabon

Interview| « Il ne suffit pas de changer la dénomination de l’institution pour qu’elle apparaisse impartiale aux yeux de tous »; Jacques Rogoula Daya

A quelques mois des élections générales prévues en 2023, notre rédaction s’est rapprochée d’un spécialiste des questions électorales, ancien Vice-Président de la Commission Electorale Nationale Autonome et Permanente (CENAP), pour l’opposition : Jacques Rogoula Daya.

 NB : Déjà parue dans le journal Le Temps  

 En 2023, le Gabon va organiser les élections générales (présidentielles, législatives et locales). Les conditions actuelles permettent-elles à une issue électorale tranquille ?

Jacques ROGOULA DAYA :Veuillez d’abord me permettre de vous adresser à vous et à votre rédaction mes vives salutations et vous remercier de la considération que vous témoignez à ma modeste personne pour une contribution d’analyse et d’avis à travers votre journal. Ceci dit, pour une meilleure compréhension de mon propos, je ne peux répondre à votre question sans un regard rétrospectif sur la question des élections dans notre Pays. En effet, le constat que nous faisons tous, est que depuis l’avènement du retour contraint et forcé au multipartisme, après la conférence Nationale, aucune élection n’a eu une issue tranquille comme vous le dite.  Il importe donc d’en connaître les raisons et par analyse comparative constater qu’aujourd’hui les conditions sont meilleurs que hier pour garantir une issue tranquille suivant votre qualificatif.

Mais avant, il m’apparait opportun d’édifier vos lecteurs sur les raisons qui font que j’apparaisse aujourd’hui comme ayant une relative expertise ou expérience qui me donne le droit d’en parler comme si j’étais effectivement un spécialiste. J’ai commencé à superviser les opérations électorales depuis 1990.

 J’ai vécu avec amertume le retrait des bucherons des législatives de 1990 privant ainsi l’opposition d’une majorité parlementaire presque acquise. J’en étais militant.

 J’ai suivi avec stupéfaction l’annonce des résultats donnant feu le Président OMAR BONGO ONDIMBA vainqueur de l’élection présidentielle de 1993, alors que le dépouillement des résultats de la circonscription électorale qui renferme plus de la moitié des électeurs dans notre pays, n’avait pas encore livre son verdict.

 En 2005, en tant que Secrétaire General Adjoint d’un parti ayant présenté un candidat à l’élection présidentielle, J’ai été cette fois ci, au cœur du dispositif entourant l’élection majeure pour l’exercice du pouvoir politique dans notre pays, avant, pendant et après le scrutin.

  Ces expériences cumulées m’ont amené à faire une présentation circonstanciée aux Présidents de partis de l’opposition réunis dans le regroupement dit des Partis Politique de l’Opposition (P.P.O) sur, les méthodes, les acteurs, les moyens légaux et illégaux, enfin, les stratégies qu’utilisait l’Etat PDG pour toujours sur le fil empêcher l’avènement de l’alternance dans notre pays.

 A la suite de cette présentation, J’ai été désigné pour faire partie du groupe d’experts de la sous-commission technique paritaire (majorité / opposition), chargée de traiter des questions électorales lors de la concertation de la classe politique dite d’ARAMBO en 2006.

 Au sortir de cette concertation qui a donné naissance à la Commission Electorale Nationale Autonome et Permanente (CENAP), j’ai été élu dans le groupement des PPO

Pour le représenter en tant que Vice-Président au bureau national.

Cette nouvelle expérience m’a permis de croitre mes connaissances sur les pratiques, les méthodes, les moyens et les stratégies qui rythment nos scrutins électoraux avant, pendant et après.

  A cet effet, moi je ne l’avais pas vu sous cet angle, je pourrais donc prétendre être comme vous le dites, un spécialiste des questions électorales, d’autant que j’ai poursuivi mon expérience en supervisant l’élection présidentielle anticipe de 2009, pour le compte de l’ACR, avec comme candidat feu le Président MAMBOUNDOU. Je vous laisse imaginer la somme des acquis.

   Naturellement le dernier scrutin de 2016 est venu enrichir d’avantage. C’est quand même un sacrée vécu.

 

Pour revenir enfin à l’esprit de votre question, je crois pouvoir dire qu’a l’analyse de ce que nous avons observé depuis 1990, a moins de vouloir se voiler pudiquement la face, l’Etat PDG n’attend pas perdre une quelconque élection.

On pourrait même dire mieux : il n’attend pas du tout accepter des résultats qui lui donneraient perdant à une quelconque élection.

C’est pour ça qu’il use de tous les moyens possibles et inimaginables qui mettent en mal les lendemains de scrutins, et nous a habitué au spectacle de ces différentes concertations alibis ou l’on va fumer le calumet de la paix à coups de milliards et de distribution de postes. Ce qu’affectionnent par ailleurs, bon nombre de nos concitoyens prétendument devenus a l’occasion, opposants.

            De 1990 à nos jours nous avons eu droit :

  • Au bourrage des urnes ; aux votes multiples bafouant ainsi le principe d’un homme un vote avec le transfert du « bétail électoral » ; aux actes de naissance établis par l’administration le dimanche ; aux passeports électoraux ; à la rétention et aux falsifications des procès-verbaux ; à l’achat des consciences ; à la corruption tout azimut et j’en passe.

Il a un let motif : « on n’organise pas un scrutin électoral pour perdre » ou encore ;

« Le pouvoir ne se donne pas, il s’arrache ».

Ceci veut dire qu’il ne croit même pas à la vertu de l’alternance par l’élection.

            Ce qui rend le climat encore plus dolosif, c’est le fait que l’opposition historique, qui incarnait une relative virginité, a pratiquement cédé le champ, a des anciens compagnons de l’Etat PDG, qui eux même ont cautionne, entretenu, défendu et joui de ces pratiques frauduleuses, et veulent aujourd’hui crier aux loups.

            Voyez-vous mes chers compatriotes, nous n’avons ni un Mathieu KEREKOU, ni un ABDOU DIOUF chez nous. Ah sauf à voir…

           De ce point de vue :

L’état d’esprit étant le même, les acteurs étant les mêmes, sans empathie, avec une appétence au pouvoir totalement irrationnelle…

J’ai bien peur que les conditions actuelles ne puissent permettre aujourd’hui, une issue électorale tranquille

Quels sont, selon vous, les gages d’un scrutin électoral relativement incontestable ?

            En rapport avec notre pays, répondre à cette question peut s’apparenter à une redite sans intérêt. Ce sont ces mêmes gages que l’on réitère à travers les différentes rencontres organisées après chaque période de troubles post électoraux, notamment lors, des accords de Paris, de la concertation d’Arambo, et tout dernièrement, de la rencontre d’Agondje sans que rien n’y change.

            Ce constat m’amène donc à dire :

            Il faut d’abord et avant tout que les acteurs politiques aient une culture démocratique, un haut degré de conscience politique et patriotique pour qu’ils s’imposent d’accepter de respecter les règles du jeu, quitte a perdre le pouvoir pour l’intérêt supérieur de la Nation.

            Mais c’est peut être un vœu pieu, c’est pour cette raison que j’ai évoqué plus haut des dirigeants comme Mathieu KEREKOU et ABDOU DIOUF.

            Dans tous les, il existe un ouvrage intitule :

Manuel de capitalisation des bonnes pratiques en matière de contentieux électoral dans l’espace francophone.

            On en apprend assez dans cet ouvrage pour mieux cerner la réponse à votre question.

            Toute fois pour vous donner mon avis et faire œuvre pédagogique :

Le postulat de base doit être que : l’électeur est souverain et qu’il importe d’établir la sincérité de son vote et de le respecter.

Ceci dit, j’indiquerai entre autres éléments :

  • La fiabilité et la sécurisation du fichier électoral;

Le feu Président MAMBOUNDOU en a fait son cheval de bataille au prix même de la raillerie de nombreux acteurs politiques aujourd’hui dans l’opposition, par son projet de fichier biométrique.

            Ma conviction est que le fichier électoral doit être tenu par une institution électorale permanente et indépendante comme je le défendais lors des négociations d’ARAMBO en 2006 compte tenu de la défiance justifiée ou non envers le ministère de l’intérieur.

             Nous nous rendons bien compte aujourd’hui qu’il plane le doute de l’avis de nombreux observateurs, que l’on se soit servi de la liste électorale de certaines provinces comme variable d’ajustement de résultats électoraux, comme pour témoigner de son manque de fiabilité jusqu’à ce jour.

            La liste électorale après une mise a plat doit être désormais, actualisée en temps réel.  L’électeur qui le souhaite doit pouvoir s’y inscrire ou la consulter des qu’il en éprouve le besoin, au lieu de faire des révisions périodiques qui ne convainquent personne.

            Ceci pourrait justifier la permanence de l’organe de gestion des opérations électorales à qui on accorderait plus de matières et de volume pour plus d’efficacité et de transparence.

 

  • Un code électoral consensuel expurgé de toutes les incohérences, ambiguïtés et confusions qui donnent lieu à des recommandations, décisions ou règlements pris en dernières minutes comme pour favoriser a l’occasion un camp au détriment de l’autre.
  • Il faut de la clarté dans la définition des règles du jeu et éviter les vrais faux contentieux qui modifient le cours des résultats.

 

  • La représentativité, la légitimité, la neutralité et la confiance dans l’institution en charge d’organiser les opérations électorales au travers des membres qui la compose.

 Comment comprendre que les membres représentant soit disant l’opposition soient tous issus de partis soutenant la majorité dite présidentielle et refuser au deuxième de l’élection présidentielle le droit de ne pas se reconnaître dans un bureau National ainsi compose ou intrigues, connivences et duplicité sont à redouter.

  Il ne suffit pas de changer la dénomination de l’institution pour qu’elle apparaisse impartiale aux yeux de tous. Il faut en redéfinir clairement les missions et la rendre résolument indépendante y compris dans le choix des Présidents des commissions électorales et gérer rigoureusement la représentativité des différentes parties prenantes.

 

Le respect de l’égalité entre les candidats ; avant, pendant et après le scrutin.

 Sans prétendre cerner tous les aspects ici, je dirai surtout et en responsabilité, un environnement social économique et politique qui garantisse a tous et à chacun les libertés fondamentales en lieu et place du climat actuelle dans notre pays.

Depuis quelques temps, certaines rumeurs indiquent qu’un projet de révision de la constitution serait en préparation. Dans ce projet, on évoque l’avènement d’un scrutin au suffrage universel indirect pour l’élection du Président de la République.

 A mon avis et ce n’est que mon avis, l’Etat PDG a conscience d’avoir perdu la majorité sociologique depuis bien longtemps. Il ne doit son maintien au pouvoir qu’a l’ingérence de la France, et a la servitude volontaire d’un bon nombre de nos compatriotes.

   Le peuple dans sa large majorité, malgré les apparences, a tourné le dos à l’Etat PDG et ce par lassitude, désenchantement et exaspération.

   Le maintien d’ordre au cours des manifestations post électorales à donne lieu à un permis de tuer, mais jusqu’à combien ? Et pendant combien de temps encore ?

  Souvenons-nous de cette citation D’ABRAHAM LINCOLN : je cite : « on peut tromper une partie du peuple tout le temps, on peut tromper tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps »

            Il lui faut désormais trouver d’autres subterfuges pour continuer de demeurer au pouvoir, au risque de plonger définitivement le Pays dans l’indicible.

            Attendons-nous à ce qu’il explore plusieurs voies d’ici-là.

 

Propos recueillis par Jean-Yves Ntoutoume

 

 

 

 

author

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *