Né en juillet 1929 à Nkok Oloa, un village situé à quelques kilomètres de Bitam (province du Woleu-Ntem, nord du Gabon), Jean-Marc Ekoh Ngyema est décédé le 03 janvier 2022, à Libreville à l’âge de 92 ans. Il était considéré comme le dernier présent de l’histoire gabonaise. Il était enseignant, puis député et ministre du gouvernement Léon Mba et Albert Bernard Bongo. Nous publions l’intégralité de sa biographie. Ce texte n’est pas de notre rédaction.
Né en juillet 1929 à Nkok Oloa, un village situé à quelques kilomètres de Bitam (province du Woleu-Ntem, nord du Gabon), Jean Marc Ekoh Ngyema est un homme politique des années 50 et de la période postcoloniale. Président du Conseil de Jeunesse du Gabon, Vice-président de l’Assemblée mondiale de la Jeunesse, membre influent de l’Eglise Evangélique du Gabon, il devient député avant et après l’indépendance et est plusieurs fois membre du gouvernement sous les présidents Léon Mba et Albert Bernard Bongo. Militant de premier plan de l’Union Démocratique et Sociale du Gabon (UDSG), il est un opposant modéré au président Léon Mba et un des principaux compagnons de Jean Hilaire Aubame. Si son verbe acerbe, sa liberté de ton et ses prises de position lui ont souvent ouvert les portes de la prison, il apparaît cependant, aujourd’hui encore, comme l’une des consciences morales du Gabon.
Le parcours scolaire de Jean Marc Ekoh Ngyema est tout ce qu’il y a de plus modeste. Il fait ses études primaires entre 1938 et 1943, d’abord à Meyô kié, au village de son père, puis dans les écoles de la mission protestante d’Ayenanga (Bitam) et de Mfoul (Oyem). A la fin de son année de CM2, en juin 1943, il obtient le Certificat d’études indigènes à Libreville, puis il est retenu pour aller préparer le diplôme de moniteur auprès des missionnaires protestants d’Andéndé, à Lambaréné (province du Moyen-Ogooué, centre du Gabon), l’une des villes les plus cosmopolites du pays. En 1945, après deux ans de formation, il obtient son diplôme de moniteur. Il a donc seize ans lorsqu’il débute sa carrière d’enseignant.
Jean Marc Ekoh Ngyema exerce d’abord en milieu rural, à Angom (près de Kango, province de l’Estuaire). Plus tard, il est successivement affecté à la mission protestante de Baraka, à Libreville en 1947, à l’école d’Ayenanga en 1951 et à nouveau à Baraka en 1954.
Parallèlement à sa carrière professionnelle, il continue sa formation, en autodidacte et au sein des mouvements de jeunesse, notamment dans le scoutisme, où il se distingue comme un bon tribun et un jeune leader panafricain. Entre 1949 et 1957, il est président du Conseil de la jeunesse du Gabon, ensuite vice-président de l’Assemblée mondiale de la Jeunesse. Cette vie associative lui donne la possibilité d’effectuer de nombreux voyages dans le Gabon profond, en Afrique et dans le monde.
Admiratif de Léon Mba, qu’il considère comme un ami, mais jeune enseignant, éclectique, nourrit au protestantisme, Jean Marc Ekoh Ngyema s’engage plutôt dans la jeunesse de l’UDSG.
Fondé le 9 septembre 1947 par Jean Hilaire Aubame, l’UDSG est le principal parti d’opposition de l’époque. Pro-Gaulliste, ce parti ambitionne de rassembler tous les Gabonais, de promouvoir la démocratie et l’idéal socialiste. C’est donc naturellement qu’en 1958 il s’affilie au Parti du Regroupement Africain (PRA) de Senghor. Au sein de ce parti, Jean Marc Ekoh Ngyema gravit rapidement les échelons. Socialiste en principe, humaniste et chrétien engagé, sa conception de la politique met en exergue la probité, l’équité, le dialogue, le patriotisme, le panafricanisme et la démocratie.
Lors des élections de l’Assemblée territoriale du 31 mars 1957, qui permettront également de mettre en place le premier gouvernement du Gabon, Jean Marc Ekoh est candidat à Bitam et tête de liste pour la province du Woleu – Ntem. Il est élu Conseiller territorial et entre dans ce premier gouvernement en qualité de ministre des affaires sociales, en charge du travail (27 mai 1957 – 26 décembre 1957). Il a vingt-huit ans et est le plus jeune de ce gouvernement.
A l’Assemblée territoriale, puis à l’Assemblée nationale, il s’implique fortement dans la construction du jeune Etat gabonais. D’ailleurs, s’il est admis que Georges Damas Aléka est l’auteur du texte de l’hymne nationale du Gabon « La Concorde », Jean Marc Ekoh NGYEMA aurait écrit ou corrigé sa musique, grâce à sa maîtrise du solfège.
Au gouvernement, sous les présidents Léon Mba et Albert Bernard Bongo, il occupa tour à tour d’importants portefeuilles, à savoir :
ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports (21 février 1961, 10 mai 1962, 1er janvier 1963) ;
commissaire adjoint au plan (1963 – 1964) :
secrétaire d’Etat à l’habitat et l’urbanisme (19 avril 1967) ;
ministre d’Etat, chargé de la jeunesse, des sports, des affaires culturelles et du tourisme (25 janvier 1968) ;
Ministre d’Etat, chargé de la santé publique et de la population (4 juillet 1968) ;
Ministre d’Etat, chargé de l’agriculture et de l’élevage (24 février 1969, 3 décembre 1969, 1er avril 1970, 30 mai 1970).
De son passage au gouvernement, on lui reconnaît de nombreuses réformes à l’éducation nationale, telles que le début de la décolonisation du système éducatif, la gabonisation des programmes ou le baptême des établissements secondaires aux noms des personnalités gabonaises. En 1962, il transforme le Collège classique de Libreville, le plus prestigieux établissement secondaire de son temps, en Lycée Léon Mba, qu’il inaugure au cours d’une prestigieuse cérémonie en présence du président de la République, parrain de l’établissement.
Suite au coup d’Etat militaire des 18 et 19 février 1964, il est nommé ministre des affaires étrangères du gouvernement provisoire. Sa présence au sein de ce gouvernement lui vaut, après l’intervention française qui remet Léon Mba au pouvoir et la défaite des militaires, un exil dans le bagne de Dom-les-Bam (ancien campement forestier situé dans la province de l’Estuaire), avec d’autres compagnons. A l’issue du procès, il est acquitté, mais condamné à dix ans d’indignité nationale. A cause de ses idées politiques, il connaitra plusieurs fois la prison. Ainsi, a-t-il passé près de dix ans dans les prisons gabonaises entre les années 60 et 80. L’un des moments les plus douloureux fut ses trois ans d’incarcération à la prison de Gros-bouquet, en 1982, après les « Evénements de la Gare routière » ; une manifestation organisée par le Mouvement de Redressement National (MORENA), parti politique d’opposition, clandestin sous le monopartisme.
Retiré de la vie politique active depuis les années 90, contre toute attente, au regard de la contestation qui a suivi les élections présidentielles de 2009, Jean Marc Ekoh Ngyema est reçu par le président de la République Ali Bongo Ondimba, en juillet 2011. Le 9 juin 2012, il prend part au Forum des indignés du Gabon et le 25 juin 2016, à la veille des élections présidentielles prévues cette année-là, il fait parti du « collectif des Sages du Gabon », qui publie un manifeste à charge contre le pouvoir en place et appelle à un dialogue inclusif afin de trouver des solutions aux problèmes qui minent le pays.
Non-conformiste et panafricain, Jean Marc Ekoh Ngyema demeure en effet un observateur critique de la scène politique gabonaise et africaine.
Bibliographie indicative :
- METEGHE N’NAH Nicolas, 2006, Histoire du Gabon. Des origines à l’aube du XXIe siècle, Paris, L’Harmattan.
• MVE ONDO Bonaventure, 2017, Un homme debout. Jean Marc Ekoh, Paris, alfAbarre.
• NZE NGUEMA Fidèle-Pierre, 2000, L’Etat au Gabon, de 1929 à 1990. Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, Lr’Harmathan.
• ROSSATANGA-RIGNAULT Guy, 2000, L’Etat au Gabon. Histoire et institutions, Libreville, Editions Raponda Walker.
• SAULET Pierre, 2019, Les gouvernements du Gabon, Libreville, Editions Meyeni.
SOURCES ORALES : Entretiens réguliers avec Monsieur J. M. Ekoh NGYEMA entre 2005 et 2015