En 2018, Ali Bongo, président « élu pas comme on l’entend » (dixit un ancien premier ministre français), est foudroyé par un AVC en Arabie Saoudite. Trois ans plus tard, malgré une prise en charge médicale optimale, il n’a jamais pu recouvrer toutes ses ressources physiques ― et peut-être cognitives. Son invalidité est visible, audible et attriste. L’homme se déplace et s’exprime avec beaucoup de difficulté. Marcher et parler lui demandent beaucoupeffort, faisant apparemment de son quotidien une bataille. Quoi que l’on pense de son pouvoir usurpé, l’image qu’il renvoie fait de la peine tant pour lui-même que pour le Gabon.
Récemment, Ali Bongo a réalisé un périple qui l’a conduit en Arabie Saoudite, à Glasgow en Ecosse, dans le cadre de la COP26, à Paris où Emmanuel Macron lui a accordé un entretien d’une demi-heure, avant de faire escale au Maroc chez son ami Mohamed VI. Ce long voyage avait pour enjeu essentiel la communication politique auprès de ses pairs et de ses
compatriotes. Il fallait « montrer le corps », comme on dit dans nos langues, afin de démentir ses détracteurs qui pointent son inaptitude à tenir le gouvernail et continuent de poser la question de la gouvernance du pays.
Le périple avait également une valeur proleptique. Il est un signe anticipatoire. Le début d’une campagne visant à préparer la population gabonaise à une énième candidature d’Ali Bongo aux élections présidentielles de 2023. Il fallait donc commencer par court-circuiter les rumeurs concernant ses aptitudes. Montrer qu’Ali Bongo est une créature exceptionnelle. Un surhomme. Une espèce rare dotée, selon son porte-parole, « d’un talent qu’à l’évidence, tout le monde n’a pas». Cette phrase fait écho à la déclaration du ministre Lee White lors de son passage à l’émission « Hard Talk » de la BBC en août 2019 où il affirmait que son patron est un « homme remarquable », il fait partie« des hommes les plus intelligents qui m’aient été donnés de rencontrer ». Individu talentueux. Exceptionnel. Surdoué. Au vu des superlatifs accolés à Ali Bongo, comment expliquer la paralysie du Gabon depuis 2009 ?
La fonction présidentielle est une lourde responsabilité. Elle est si écrasante qu’on doute qu’un homme aussi amoindri puisse en être à la hauteur. Se posent alors diverses questions. A commencer par l’image pitoyable, sinon déplorable qu’il donne du peuple gabonais. Il y a ensuite sa capacité de négociation et de préservation des intérêts du pays. D’aucuns interprètent sa détermination comme une marque de courage. D’autres parlent de résilience, alors que cette notion définit le retour d’un corps traumatisé à son état initial. Il ne s’agit pas ici de retirer quelque schadenfreude, selon le mot des Allemands, c’est-à-dire un plaisir malsain du malheur de l’autre, mais de souligner un entêtement confinant à une avidité pathologique du pouvoir qui mène inexorablement le Gabon au naufrage, dont pâtira le peuple sans gilets (financiers) de sauvetage, quand les dirigeants actuels iront jouir des trésors amassés et cachés dans les pays de cocagne. Les admirateurs zélés louent son courage. Sans doute en faut-il pour surmonter un handicap.
Mais le courage ne devrait-il pas s’exprimer également par un acte de renoncement qui traduirait une grandeur d’âme ? Ne s’agit-il pas d’un impératif éthique en vue de la préservation de sa dignité personnelle, celle de la fonction présidentielle et du peuple gabonais ? Bien sûr, nous ne sommes pas dupes de ce vœu pieux. Ce d’autant plus que le dispositif de verrouillage des prochaines élections a déjà été mis en place avec différents réaménagements de la Constitution, à commencer par la disqualification des candidatures valides de l’extérieur qui auraient pu créer une dynamique nouvelle. Quant au PDG, il est en ordre de bataille pour offrir un troisième mandat à son champion. Tel me semble, bien loin des intérêts du peuple gabonais, le sens du dernier long déplacement d’Ali Bongo : valider, malgré son invalidité physique, son ticket d’entrée en lice pour 2023.
L’histoire a inscrit le Gabon dans la tradition politique républicaine, elle-même consubstantielle de l’Etat de droit et de la démocratie. Ce sont les seuls outils dont dispose un peuple pour contrôler ses gouvernants. Tant que cette tradition confinera à une farce, il n’y aura point d’avenir radieux pour ce pays.
Marc Mvé Bekale, universitaire-essayiste