A quelques encablures de la prochaine présidentielle, on ne peut pas dire que les Gabonais soient éblouis par la clarté des évolutions du paysage politique qui fait plus dans le clair-obscur qu’autre chose. En effet, si, depuis la dernière présidentielle, des ensembles politiques se sont constitués on a pu constater que, progressivement gagnés par des dissensions internes, ils ont éclaté en ambitions partisanes. Une belle illustration de ce type d’évolution est celle de cette famille politique « radicale » de la Résistance, constituée depuis le dialogue national pour l’alternance (DNPA) patronné par Jean Ping en décembre 2016.
Cinq ans après, elle ne fait toujours pas le bilan de son option pour la Résistance qui, plus proche de l’insuccès politique, n’a manifestement pas atteint les objectifs escomptés par les promoteurs de cette ligne politique…de Résistance. Quels en étaient les objectifs ? En gros, ceux-ci :
- la réaffirmation et la revendication de la victoire de Jean Ping ;
- la nécessité de poursuivre le combat jusqu’à l’établissement de Jean Ping comme président de la République ;
- l’appel à la mobilisation citoyenne :
- le refus de tout dialogue avec Ali Bongo ;
- la dénonciation de la situation catastrophique dans lequel se trouve plongé le pays sur tous les plans.
Un rappel des noms des promoteurs, principaux managers politiques de ce dialogue national pour l’alternance, permet, à lui seul, de montrer, cinq ans après, l’ampleur actuelle de la désagrégation du camp pro-Ping, celui de la Résistance. Paulette Missambo, présidente du comité d’organisation du Dialogue national pour l’alternance (DNPA), atelier n° 1 dirigé par Alexandre BARRO CHAMBRIER, atelier n° 2 par Jean de Dieu MOUKAGNI-IWANGOU, le 3 par Richard MOULOMBA MOMBO, le 4 par Vincent Mouleingui Boukossou et le 5 par Jacques ADIAHÉNOT. La présidente du comité d’organisation a indiqué le contenu de chaque atelier. Le premier visait à confirmer le refus du coup d’état militaro-électoral et à en conclure que le pouvoir d’Ali BONGO était « tout aussi illégitime qu’illégal ». Le deuxième, tout en examinant la démarche la mieux adaptée afin de permettre aux Gabonais de renouer avec leurs lois, leurs institutions, leurs administrations ainsi que leurs forces de défense et de sécurité, devait plancher sur la nécessité d’organiser, « avant toute chose », la Résistance en vue de parvenir à « la libération du Gabon ». L’atelier présidé par Richard Moulomba avait pour mission de proposer un programme de « gouvernement de la Coalition pour la Nouvelle République ». L’atelier n° 4 faisait le diagnostic de la situation et formulait des propositions pour sortir le Gabon de la crise dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’emploi et du logement. L’atelier n° 5 devait permettre à chaque citoyen de s’exprimer librement sur sa vision de l’édification de la Nouvelle République.
En somme, il n’était pas question, au sortir, de ce dialogue de la Résistance, de participer aux législatives qui pointaient. Car cela aurait nécessairement impliqué l’acceptation d’un dialogue avec Ali Bongo Ondimba. Pourtant, les Européens, quant à eux, en étaient arrivés à une autre conclusion dans leurs recommandations prioritaires contenues dans le rapport officiel de la Mission d’Observation de l’Election présidentielle de 2016 au Gabon : « La mission souhaite que les recommandations formulées à la fin de ce rapport puissent contribuer au renforcement du cadre électoral en vue des prochaines échéances électorales. » Autrement dit, en 2016, la MOE-UE invitait déjà la classe politique gabonaise à préparer les législatives qui suivraient. Le 14 septembre 2017, la Résolution du Parlement européen sur la répression de l’opposition au Gabon, dans trois de ses recommandations obéit au même état d’esprit en invitant « instamment », dans sa cinquième recommandation, « le gouvernement du Gabon à procéder à une réforme approfondie et rapide du cadre électoral, en tenant compte des recommandations formulées par la MOE de l’Union européenne, afin de l’améliorer et de le rendre totalement transparent et crédible; souligne que les autorités gabonaises doivent garantir une coopération pleine et loyale avec tous les acteurs nationaux et internationaux pertinents, afin de veiller à ce que les prochaines élections législatives, qui auraient déjà dû avoir lieu, soient totalement transparentes et crédibles et se déroulent dans un climat de liberté, de démocratie, d’ouverture et de paix; ».
Le Parlement européen va plus loin. Sans condamner, le moins du monde, le principe d’un dialogue avec le pouvoir, il le souhaite inclusif et, pour cela, il souligne, recommandation 7, « ses réserves quant au degré d’ouverture du dialogue national lancé par le gouvernement gabonais et, par conséquent, à sa crédibilité et à sa pertinence », notamment du fait que « Jean Ping et sa «Coalition pour la nouvelle République» ont refusé de prendre part à ce dialogue ». Mieux, c’est le « gouvernement gabonais » que le parlement européen interpelle et « exhorte … à apporter une réponse concrète aux inquiétudes de la communauté internationale, en organisant rapidement un forum consultatif pour un dialogue réellement ouvert à tous, transparent et impartial; demande également à l’opposition d’évaluer la crédibilité de ce processus ».
Deux anciens candidats à la présidentielle 2016 s’étant retirés de la course au profit de Jean Ping sont sensibles à cette orientation européenne. Casimir Oye Mba et Guy Nzouba Ndama. Mais il y a une fin de non-recevoir du chef de la Coalition pour la Nouvelle République : « Je refuse de dialoguer avec ce monstre » ou encore : « Je ne veux pas trahir le mandat que le peuple gabonais m’a librement confié … À ceux qui, hier encore membres de l’opposition, ont décidé de prendre part à cette kermesse [le dialogue politique national, NDLR] pour des calculs égoïstes, comme à ceux de nos amis et partenaires qui, de bonne foi, nous proposent d’accepter de dialoguer avec Ali Bongo, […] je le redis ici : c’est non ! C’est niet !… » Jean Ping explique donc à la communauté internationale qu’il ne participera à aucun dialogue avec Ali Bongo Ondimba et propose son propre agenda : « Je reste ouvert à une médiation internationale, visant à rétablir la vérité des urnes […] et je lance un appel solennel à la communauté internationale pour une médiation. […] Je dis bien une médiation et non un dialogue avec Ali Bongo en vue de rétablir la vérité des urnes et d’assurer les conditions pacifiques d’une passation de pouvoir ».
Malheureusement pour lui, cet extrémisme verbal n’a, au fil du temps, pas fait beaucoup d’émules. Bien au contraire, les principaux appuis de Ping ont tourné le dos aux logiques d’une fédération politique soudée autour d’une logique radicale de résistance pour laquelle les mêmes avaient pourtant opté en décembre 2016 malgré les recommandations explicites des Européens. Guy Nzouba, Barro Chambrier, Myboto, ont, en effet, décidé de faire cavaliers seuls. Hier par leur participation à des législatives organisées par un pouvoir « tout aussi illégitime qu’illégal » pour reprendre la terminologie du DNPA, aujourd’hui, par des logiques de patriotismes partisans plus qu’évidentes.« La nécessité de poursuivre le combat jusqu’à l’établissement de Jean Ping comme président de la République » ne l’est notoirement plus pour tous ces anciens promoteurs de la Résistance. Par la force des choses, de leurs nouveaux positionnements, ils renouaient les fils du dialogue… avec le pouvoir. Que reprochèrent-ils alors aux négociateurs d’Angondje ? Autant de déchirures qui poussent à se questionner sur ce que ce camp d’une Résistance qui ressemble de plus en plus à un terrain vague, compte de faire du temps qui lui reste jusqu’en 2023. Ou avant. D’autant qu’au cours d’une de ses récentes adresses aux Gabonais, Jean Ping avait estimé que 2023 était une illusion politique ? (A suivre)
Stéphane MWAMEKA