Ainsi parle Prosper Nguema, délégué du personnel de l’Autorité de régulation du transport ferroviaire (ARTF), dans cette interview exclusive qu’il a accordé à notre rédaction. Faut-il le rappeler, cet entretien intervient trois jours après celui du président du Comité de suivi de la Convention de concession du chemin de fer, Félix Onkeya, chez notre consœur l’Aube. Non content des propos du président du Comité de suivi, le délégué du personnel, un ancien cheminot, entend recadrer le débat. Pour ce dernier, le véritable problème n’est pas l’effectif pléthorique, mais plutôt les gros sous issus du chemin de fer qui aiguisent les appétits. Lecture !
Le Temps: depuis plusieurs jours, la presse locale fait écho d’un remue-ménage au sein de l’ARTF, notamment sur le retard de paiements de salaires. Pouvez-vous nous en parler ?
Prosper Nguema : Permettez-moi d’abord de fixer le contexte dans lequel évolue l’ARTF aujourd’hui. Le 11 août 2005, L’Etat gabonais signe une convention de concession de la gestion et de l’exploitation du chemin de fer Transgabonais, à travers le décret 869/PR/2005. Ladite convention, dans son article 7-3, prévoit le versement d’une redevance fixe de cinq cent millions de FCFA (500 000 000), payable annuellement à l’Autorité de Régulation. Elle est affectée aux dépenses de fonctionnement et d’investissement.
Il faut souligner que ce montant qui correspond à la taille et aux besoins de la Délégation générale qui existait à ce moment-là (bien que la création de l’Autorité de régulation soit prévue dans la convention de concession), n’avait pas intégré l’élargissement par le gouvernement des missions de la future A.R.T.F.
En effet, l’ordonnance 17/PR/2010, dans son article 4 dispose que : « l’ARTF concourt au développement du secteur public ferroviaire et qu’à ce titre, elle assure des missions de conseil, contrôle et arbitrage ». Ces différentes missions impliquent la mise sur pied d’une organisation conséquente dotée de ressources humaines hautement qualifiées, et des moyens logistiques conséquents.
Quinze (15) ans après la signature de cette convention, le chemin de fer a connu des changements majeurs, notamment avec l’émergence de nouveaux opérateurs ferroviaires (CITIC, GSEZ, NGM). Ce qui, accroit d’autant plus les risques inhérents à l’activité ferroviaire, induisant ainsi des besoins énormes en capacité d’intervention de l’ARTF.
En ce qui concerne les retards de salaires, seul le mois de novembre 2020 n’est pas encore payé et nous avons jusqu’au 5 décembre pour les percevoir.
Concrètement, quelles sont les ressources de l’ARTF ?
Les ressources de l’ARTF sont composées :
– De la redevance fixe : contrepartie de la mise à disposition du domaine ferroviaire concédé, incluant les infrastructures existantes et du droit d’exploiter les services ferroviaires concédés.
– De la subvention de l’Etat,
– Du contrat de prestation par le biais du compte TVA-SETRAG,
– Autres prestations
Parlant du compte TVA SETRAG sur le fret marchandises, on parle de 10 milliards FCFA collectés entre 2018 et 2019 dont seulement 4 milliards ont été affectés à la réhabilitation de la voie. Qui gère cette manne et où sont passés les 6 autres milliards FCFA ?
Le compte de TVA a subi 3 modalités de fonctionnement :
– L’arrêté 0012 /MTL/MEPPD du 17 décembre 2018 : les décaissements sont autorisés respectivement par le ministre des transports et le ministre de l’économie,
– L’arrêté 33/MTEIH/MEF du 16 avril 2020 : tout décaissement ou encaissement effectué par le comptable est au préalable validé par le secrétaire exécutif de l’ARTF et contresigné par la SETRAG,
– L’arrêté 61/MTEIH/MER du 23 juillet 2020 : tout décaissement sur le compte TVA-SETRAG sur le fret marchandises doit être autorisé par le président du comité de suivi de la concession sur la base du rapport mensuel produit par le bureau d’études et de contrôle des travaux. Le président du comité de suivi rend compte de la gestion du compte TVA-SETRAG au ministre en charge des transports et au ministre en charge de l’économie.
Le contrat de prestation de services qui lie l’ARTF au compte TVA a pour objet de lui confier la réalisation de prestations dans le cadre d’une mission de conseil, de sorte que le concessionnaire soit en mesure de respecter les obligations correspondantes qui lui incombent au titre du contrat de concession et du Programme de remise à niveau du Transgabonais. Ce qui d’ailleurs correspond au rôle de l’ARTF dans le cadre de ses missions.
Je précise que l’ARTF reçoit au titre de ce contrat 80 millions FCFA/mois depuis avril 2019. Donc au titre de la même année, l’ARTF a reçu 720 millions FCFA dans le cadre du contrat et dit-on 4 milliards auraient servis au paiement des entreprises, ce qui signifie que les différents donneurs d’ordre doivent nous justifier l’utilisation des 5 autres milliards sur la même période.
Pouvez-vous être plus clair, Monsieur le délégué
Dans l’arrêté 12, ce sont deux ministres qui signent en plus de SETRAG, dans l’arrêté 33 c’est le Secrétaire exécutif et SETRAG et dans l’arrêté 61 en son article 5 : « Tout décaissement sur le compte TVA-SETRAG sur le fret marchandises doit être autorisé par le président du Comité de suivi de la concession pour la gestion et l’exploitation du chemin de fer Transgabonais, sur la base du rapport annuel produit par le bureau d’études et de contrôle des travaux »
Mais le président du comité de suivi dit ne donner qu’un visa d’opportunité
Allez-y comprendre. Tout le monde sait que c’est Monsieur ONKEYA qui donne l’ordre de paiement et donc, gestionnaire des engagements.
Dans une interview accordée à notre consœur «l’Aube », Monsieur Félix ONKEYA affirme que : « le ministre des Transports et celui de l’Economie ont décidé de mettre un terme à votre contrat de prestation dans le cadre du programme de remise à niveau de la voie », estimant que : « c’est un contrat qui n’a pas lieu d’être », ce qui a pour conséquence l’arrêt du paiement des prestations de l’ARTF dans le cadre dudit contrat. Pensez-vous que cette résiliation est justifiée ?
Lorsque Monsieur ONKEYA estime que ce contrat « n’a pas lieu d’être », c’est une façon de désavouer son ministre de l’Economie qui a signé ce contrat. Par ailleurs, Monsieur ONKEYA en tant que membre du Comité de suivi n’est pas habilité à notifier l’arrêt d’un contrat signé par deux ministres de la République. Si notification il doit y avoir, elle viendrait des deux signataires représentants l’Etat.
Quelles sont les missions du Comité de suivi ?
Le Comité de suivi est, selon la convention de concession, chargé d’examiner toute question relative à l’exécution de la convention de concession qui nécessite une concertation entre le concédant et le concessionnaire. Le Comité de suivi n’a donc pas un rôle de contrôleur du cahier des charges du concessionnaire ou de tout autre exploitant du domaine ferroviaire, c’est le rôle de l’ARTF. En somme, c’est l’ARTF qui est chargé de contrôler le livrable de tous les travaux du chemin de fer. En conséquence, tous les paiements effectués dans le cadre des travaux du PRN doivent avoir le visa préalable de l’ARTF.
Par ailleurs, nous avons demandé au Secrétariat exécutif de l’ARTF de sortir du Comité de suivi de la concession, car il ne peut être juge et partie.
Toujours dans son interview, Monsieur ONKEYA, également accusé de gérer illégalement les fonds issus du compte querellé, nie tout en bloc en affirmant qu’il ne gère aucun fonds et qu’il donne juste un visa d’opportunité. Vous le confirmer?
Comprenons-nous bien, je n’ai pas la prétention de donner des cours de droit à Monsieur ONKEYA, mais, il devrait, nécessairement, revoir sa définition du terme visa d’opportunité.
Depuis sa prise de fonction, le nouveau Président du Conseil de régulation a exigé et obtenu de cosigner sur les comptes de l’ARTF. Que pensez-vous de cette démarche ?
Le Conseil de régulation est chargé de contrôler la gestion du Secrétariat exécutif et qu’à cet égard, il ne saurait être juge et parti, s’il doit y avoir double signature, selon la loi 653 /PR/MBCPFPRE, portant sur le régime de responsabilité des ordonnateurs et comptables publics. Cette deuxième signature reviendrait au Secrétaire exécutif adjoint.
Il se dit que tout ce chaos s’explique par la volonté de certains de mettre la main sur le ‘’très juteux compte TVA-SETRAG’’. Pensez-vous être victime de la voracité de ceux à qui profite la gestion unilatérale de ce compte ?
Oui, nous sommes des victimes. Ce, d’autant plus que la volonté de vouloir nous retirer les 80 millions qui sont la contrepartie de notre mission de contrôleur statutaire des cahiers des charges des travaux de réhabilitation des zones instables et du suivi du programme de remise à niveau (PRN) viserait à empêcher l’ARTF de remplir pleinement ses missions de gendarme ferroviaire au profit de charlatans qui n’ont aucune expertise avérée dans le domaine ferroviaire. Aujourd’hui le chemin de fer est une affaire de gros sous qui aiguisent des appétits, il faut donc neutraliser l’ARTF.
Votre tutelle pointe un doigt accusateur sur un effectif pléthorique (108 employés), et préconise la restructuration, comme l’une des pistes de solution. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Que la tutelle explique d’abord sa part de responsabilité sur ces fameux effectifs pléthoriques. Aujourd’hui on veut parler d’effectifs pléthoriques, pensez-vous que 108 personnes sont de trop pour une organisation qui en plus de la régulation économique fait de la veille sécurité ?
Pour ce qui est de la veille sécuritaire, nous sommes censés être présents dans 24 gares, dans les proportions suivantes : un volet contrôle sécurité, un volet QHSE, un volet contrôle sureté, soit 3 fois 24, je vous laisse faire le calcul. Il n’y a que ceux qui ne comprennent rien à nos missions qui peuvent penser que nous avons un effectif pléthorique. Je leur recommande de revisiter l’ordonnance 17 /PR/2010 portant création, organisation et missions de l’ARTF.
Votre mot de fin
La notification du président du Comité de suivi est non conforme à la déontologie et ne saurait être considérée comme une notification. Nous comptons saisir le Conseil d’Etat, en conséquence. A tous les charlatans qui veulent cacher la réalité sur le chemin de fer, nous, employés de l’ARTF, nous allons veiller à ce que le Premier Ministre et le Chef de l’Etat aient la bonne information.