« …est-ce qu’on ne pourrait pas faire ces tests en Afrique ? » Si Dieudonné M’bala, comédien ruiné et banni de la scène française, avait fait une telle proposition sur quelque autre peuple, la France tout entière se serait mise en branle pour exiger la guillotine
Le racisme est d’une violence extrême. Même sur un ton badin, il enferme l’homme et la femme noire dans ce que Frantz Fanon qualifie de « zone de non-être » où l’on peut, au nom de leur sous-humanité, les soumettre à de pires atrocités. Les Noir.es en ont été victimes sur le continent américain à travers l’esclavage, qui entérina leur infériorité ontologique au point que certains Etats (comme le Maryland ou la Virginie occidentale) après
l’interdiction de la traite atlantique, se spécialisèrent dans l’élevage des esclaves destinés à des expérimentations scientifiques et à l’exportation vers le Vieux Sud. Les Juifs subirent les affres du racisme – nommé antisémitisme – qui a culminé au siècle dernier avec la Shoah. L’on pense aussi à la stérilisation des « Bâtards du Rhin », terme utilisé par les nazis pour désigner les enfants métis nés des relations amoureuses entre soldats noirs et femmes allemandes.
Et nous voilà en pleine pandémie mondiale. Le darwinisme socio-médical bat son plein. C’est désormais chaque pays pour les siens comme on a pu le lire concernant la course internationale aux masques. Une course que Valery Pécresse, présidente de la région Île de France, a assimilée à une « chasse au trésor » tant tous les pays de la planète y sont engagés. Et ici le trésor revient au plus offrant, qui le ravit aux autres sur le tarmac d’un aéroport chinois, alors que l’affaire semblait avoir été conclue. Darwin en triomphe !
Dans la recherche d’un remède ou vaccin miraculeux contre le covid-19, une proposition a été avancée sur la chaîne de télévision LCI. Elle faisait suite à un échange entre le professeur Mira, chef de service à l’hôpital Cochin et son homologue le professeur Locht, directeur de recherche à l’Inserm. Tous deux discutent du recours au vaccin BCG contre le coronavirus. Ils font état de protocoles mis en œuvre afin de tester ce vaccin. Le professeur Mira observe alors qu’il serait difficile de mener des essais à une échelle suffisante dans les pays développés en raison des contraintes éthiques et juridiques diverses. Dr Locht trouve une parade :
« Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne pourrait pas faire ces tests en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études avec le Sida, où chez les prostituées on essaie des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas ? »
La provocation est-elle de mise dans un contexte aussi grave ? Si Dieudonné M’bala, comédien ruiné et banni de la scène française, avait prononcé de tels propos sur quelque autre peuple, la France tout entière se serait mise en branle pour exiger la guillotine. Face au professeur Locht, le journaliste n’a même pas relevé une démarche immorale qui réduirait les Africains au statut de cobaye. Outre sa provocation indécente, le médecin français, dans la foulée, nous livre une information : les Africains ont déjà fait l’objet d’expérimentations thérapeutiques sur le Sida. Pour finir, notre sort, en raison de notre pauvreté matérielle, est assimilé à celui des prostituées. Résumons donc : Afrique. Misère. Sida. Prostituées. Vous avez là un concentré d’images sur tout un continent, enraciné dans l’inconscient collectif européen. Ces analogies sont d’une insupportable violence.
« …est-ce qu’on ne pourrait pas faire ces tests en Afrique ? » Comment pareille proposition a-t-elle pu poindre dans le cerveau d’un homme de science ? La réponse est simple : l’Afrique est le continent de toutes les transgressions comme Joseph Conrad l’a écrit dans son roman Au cœur des ténèbres. A l’écart de la civilisation – sans masques, sans vaccins, sans traitements, sans équipements de réanimation, démunie et privée de tout – elle devient le terrain de libération des pulsions les plus obscures. Le lieu des expérimentations inimaginables en Occident.
Dans Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon affirme que le Noir n’a pas le bénéfice de réaliser la descente aux Enfers, parce que face à l’Occident, il est déjà aux Enfers. En raison de cette situation, on n’a eu de cesse d’infliger toute sorte d’atrocités à son corps noir, méprisé depuis l’épisode de sa prétendue damnation biblique par Noé jusqu’à son élevage comme du bétail dans les fermes esclavagistes du Maryland au 19ème siècle. Tout est permis en son monde submergé par la maladie et la souffrance. Le Nègre reste peut-être la prostituée de l’humanité. Mais le damné de la terre dispose désormais des armes pour se défendre. De Dakar à Libreville, la jeunesse le dit tout haut.
Marc Mvé Bekale
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