Manifestement, une prévisible empoignade sociale semble programmée pour dimanche prochain entre l’Eglise catholique et l’Etat. L’archevêque Jean-Patrick Iba-Ba n’est pas revenu sur la décision de l’Eglise catholique d’ouvrir ses portes dimanche. « Aucune porte de l’Eglise ne restera fermée le 25 octobre prochain » a-t-il martelé. Faut-il comprendre que l’Eglise du Vatican défiera l’Etat gabonais ce jour-là ? Qu’elle défiera la décision du gouvernement qui a fixé la date d’ouverture des lieux de culte au 30 octobre 2020 ? Face à cette défiance publique, l’Etat sera-t-il contraint de passer par l’usage de la force pour que force reste à la loi ? La question est légitime.
En effet, nous savons que, pour certains machiavélistes – et il y en a au Gabon – les armes facilitent l’application des lois. Car, expliquait leur maître Machiavel, le théoricien des princes, toute « bonne loi » s’appuie sur une force de l’ordre. Son argument : « Les principaux fondements qu’aient tous les Etats, aussi bien les nouveaux que les anciens et les mixtes, sont les bonnes lois et les bonnes armes. Et comme il n’est pas possible d’avoir de bonnes lois là où les forces ne valent rien, et que si les armes sont bonnes, il est aussi bien raisonnable que les lois y soient bonnes ». Machiavel poursuit : « de l’homme armé à un qui ne l’est point, il n’y a nulle comparaison, et la raison ne veut pas qu’un bien armé obéisse volontiers à celui qui est désarmé, ni qu’un homme désarmé puisse être en sûreté entre ses serviteurs armés ; parce que régnant chez les uns le mépris, chez l’autre la crainte, il n’est pas possible qu’ils s’accordent ensemble ». En somme, la force armée serait, pour Machiavel, l’un des meilleurs moyens capables d’instaurer la loi. Il a des disciples dans notre pays.
Nous acheminons-nous au Gabon, d’ici au 25 octobre prochain, vers un cas de figure où, justement, la force armée devra régler cette question à sa façon ? D’autant que peu de Gabonais ont effacé de leur mémoire la façon dont la question a été réglée au QG de Jean Ping, un certain 31 août 2016. Un bain de sang dont le souvenir tragique, que ses auteurs souhaiteraient certainement voir s’être coagulé avec le temps et l’oubli, persiste.
Alors, sera-ce un nouveau bain de sang dimanche prochain ?
Si on ne sort pas de cette question, c’est que les sentiers d’un dialogue préalable n’ont pas été empruntés pour aboutir à des consensus. Le pouvoir a privilégié la force de la loi, la dura lex qui risque de conduire tout droit à la loi de la force, dimanche prochain. N’eut-il pas été de dire ce que l’on se propose de faire, de le soumettre à une première discussion, puis une deuxième, une troisième etc. En République, n’est-ce pas la procédure appropriée qu’un texte destiné à devenir une loi soit soumis aux avis, passe en délibération en Conseil des ministres, atterrisse sur le bureau du parlement qui l’adopte -ou le rejette – pour, enfin être promulgué par le Président de la République ?
Etait-ce si compliqué que cela de demander aux clergés chrétiens d’expliquer à l’Exécutif comment allaient être appliquées les mesures barrières lors des cultes ? A l’issue de quoi des compromis auraient pu être trouvés. D’autant que le spectacle des marchés, notamment celui de Mont-Bouët, à part le port du masque – et encore ! – on se demande bien quel est le plan riposte du gouvernement en vigueur dans ce possible cluster. Une situation qui peut donner raison au clergé catholique et rend compréhensible le durcissement de ton des plus hautes autorités ecclésiales de cette Eglise. L’évêque d’Oyem, Jean-Vincent Ondo Eyene, n’a pas mâché ses mots : « Un évêque reste un serviteur de Dieu. Il ne doit pas se laisser berner par le pouvoir (sic)… Il vaut mieux mourir martyr que de se laisser corrompre… Hier, si la fermeture des églises se justifiait, aujourd’hui elle ne se justifie plus au regard de ce que nous observons chez nous et autour de nous». Mgr Mathieu Madega, au cours d’une interview fleuve accordée à notre confrère « L’Aube », a, pour ainsi dire vidé son calice jusqu’à la lie.
Après avoir rappelé que le Rite d’ouverture de la Porte – qui signifie que « le Seigneur rentre dans « sa » maison après un long temps de fermeture » – avait été annoncé le 4 octobre pour être célébré 21 jour après, donc le dimanche 25, Mgr Madega pointe « les édifices publics » qui, eux, maintiennent leurs portes ouvertes. Il évacue, par ailleurs, une question de « L’Aube » qui soulignait le fait de « n’avoir pas rencontré le président de la République avant d’annoncer unilatéralement l’ouverture des églises ». Réponse : « je ne sais pas si les écoles conventionnées sont d’abord allés voir le président de la République avant l’ouverture des écoles ». Le prélat remet également en cause cette mesure du gouvernement qui limite le nombre de personnes à 30 lors d’un culte. Pour lui, « le gouvernement a, simplement, oublié de considérer les proportions ou l’ordre de grandeur des églises ». « 30 personnes, explique-t-il, dans ma petite église de Sindara, ce ne sont pas 30 personnes à la Cathédrale Saint-Jean Apôtre de Mouila ». Sarcastique, il rajoute : « il suffit d’une petite machine à calculer, si l’estimation de l’espace est difficile à certains ».
De fait, les dispositions édictées par l’Etat pour réguler les cultes est assimilé par Mathieu Madega à une ingérence insoutenable qu’il dénonce catégoriquement : « Pour l’organisation du culte catholique, c’est l’Eglise et l’Eglise seule qui détermine le rite à célébrer comment donner la communion, comment recevoir les offrandes des fidèles, tout en maintenant sauve la distanciation physique ou sociale connue de tous, depuis mars 2020 » L’état d’esprit de l’homme d’église face à l’Etat est fondamentalement résumé ici en ses propres termes : « Dieu est TOUT. Sans ambigüité, entre Dieu et mon gouvernement, je choisis Dieu ». L’Eglise catholique, aux yeux de Mathieu Madega, serait-elle au-dessus de la loi et va-t-elle la braver ce week-end ? Dimanche donnera non seulement une réponse à cette question mais sera scruté par toutes les autres congrégations religieuses – hormis les musulmans –. Leur conduite à venir sera certainement fonction de l’épilogue de ce face à face attendu entre catholiques et Exécutif.
Stéphane MWAMEKA