La question a du sens. Les réconciliations nationales au Gabon n’ont-elles pas surtout servi à se mettre d’accord sur celui qui se maintient au poste de président de la République ? Plutôt que sur ce qu’il est nécessaire au Gabon, en termes de projet(s), pour qu’il décolle enfin.
La « visite de courtoisie » de Jean Ping chez Louis-Gaston Mayila, pour parler de « réconciliation nationale », a ravivé l’intérêt pour le sujet. Mais, il faut bien avouer que nous n’en savons pas beaucoup plus que cette petite phrase du patron de l’UPNR : « « la réconciliation nationale est la seule voie de sortie de la crise actuelle dans notre pays. Elle est nécessairement la seule alternative pour tisser un nouveau contrat social entre les gouvernés et les gouvernants »
Depuis 1990, des tentatives de réconciliations nationales n’ont pas manqué au Gabon. Mais que visaient-elles quant au fond ? A s’unir autour d’un nouveau projet pour le pays ou autour des personnes d’Omar puis d’Ali Bongo Ondimba ?
L’histoire politique des Gabonais est émaillée de ces phases de tentatives de réconciliations nationales. La tenue de la Conférence Nationale (CN) en 1990 en fut une forme. Sur fond historique général d’essoufflement du vieil Etat rentier gabonais et de ses conséquences sociopolitiques, le projet de la CN, à l’origine, visait la mise en place d’un Rassemblement Social-Démocrate Gabonais (RSDG) au sein duquel toutes les formations présentes à cette conférence devaient cohabiter pendant une période transitoire -dont la durée restait à déterminer – avant de procéder à des élections multipartites. L’échec du RSDG a conduit tout droit à la crise électorale de 1993. Et c’est alors qu’une nouvelle phase de réconciliation nationale dite des Accords de Paris intervient suite aux troubles de février 1994 qui ont suivi la réélection d’Omar Bongo, entachée de nombreuses fraudes, en décembre 1993. Ces accords visaient, en fait, à maintenir OBO au pouvoir mais officiellement à réconcilier les Gabonais entre eux autour d’un projet : faire du Gabon un « véritable État de droit », en prévoyant, pour cela, notamment une révision du code électoral et la mise en place d’une commission nationale électorale afin de garantir « des élections transparentes » ainsi que transformer la très guerrière Garde présidentielle en une Garde républicaine dont le rôle devait désormais se limiter « à la protection des personnalités et des biens publics ». Et, pour que ces arrangements soient être mis en application, le 7 octobre 1994, les représentants du président Omar Bongo et le Haut Conseil de la résistance (H.C.R.), qui regroupe l’opposition, signent à Libreville, en présence du ministre français de la Coopération Michel Roussin, un accord qui prévoit la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’organisation d’élections législatives avant dix-huit mois. Cet accord met officiellement fin à la crise politique engendrée par la réélection, jugée frauduleuse par l’opposition, du président Bongo, en décembre 1993. C’était encore là le fruit d’un accord politique, d’une réconciliation nationale entre le pouvoir et l’opposition. Paris était à la manœuvre.
Mais, il n’y a pas que l’hexagone qui s’intéresse au fait que les Gabonais se réconcilient entre eux pour préserver, on l’a compris, la stabilité si chère à nos partenaires économiques. Les Gabonais, eux-mêmes, tout au long des années 1990, prennent également, des initiatives assimilables à des tentatives de réconciliations nationales : La Paix des Braves de Me Agondjo Okawe, l’entrée au gouvernement de Paul Mba Abessole après la mairie et de son parti dans la majorité présidentielle, le soutien à OBO lors de la présidentielle de 2005. Et, plus récemment, les Accords politiques d’Angondje. A ce sujet, notre confrère en ligne Infos Gabon relevait, en mars 2017, l’esprit réconciliateur qui portait lesdits accords : « Les quatre personnalités ayant pris la parole à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du dialogue politique sont toutes unanimes qu’il faut tourner la page de la crise actuelle et œuvrer pour le vivre-ensemble. En témoigne un champ lexical presque similaire avec des mots comme paix, tourner la page, vivre-ensemble et intérêt général qui sont revenus de manière récurrente dans les quatre discours. Une constante qui cache mal leur volonté à mouiller le maillot pour une réussite totale des présentes assises. A les écouter, il était difficile de faire la différence entre un opposant et un partisan de la majorité. Car, le constat était le même : le Gabon va mal et qu’il faut le sortir de là. »
Comme on le constate, les tentatives de réconciliations nationales au Gabon se sont multipliées. Toutefois, il nous faut admettre qu’elles ont montré des limites, comme le note, par ailleurs, cet InfosGabon du 29 mars 2017 qui choisit de résumer les propos de l’une de ces personnalités assistant au Dialogue politique d’Angondje ainsi : « René Ndemezo’Obiang qui s’est réjoui de la tenue de ces pourparlers, a tout de même regretté le fait que les précédentes assises de même nature que le pays a abritées n’aient pas apporté les changements escomptés. Le président de Démocratie nouvelle (DN) et chef de file de l’opposition à ces assises a ainsi passé en revue la Conférence nationale, les Accords de Paris et les Accords d’Arambo qui, selon lui, n’ont pas permis, comme souhaité, d’asseoir une véritable démocratie dans le pays »
De fait, quant au fond, toutes les tentatives de réconciliations nationales ont répondu à la question centrale et névralgique de savoir autour de qui on se réconcilie. L’histoire de notre pays démontre que, de la Conférence Nationale à 2009, ça a toujours été autour d’Omar Bongo. Aujourd’hui, c’est autour d’Ali Bongo Ondimba. Conclusion : « la Conférence nationale, les Accords de Paris et les Accords d’Arambo […] n’ont pas permis, comme souhaité, d’asseoir une véritable démocratie dans le pays » Il serait donc peut-être temps de répondre aussi à la question de savoir autour de quel(s) projet(s) pour le Gabon on se réconcilie.
A quelle question, 30 ans après la Conférence Nationale, la « visite de courtoisie » de Jean Ping, chez Louis-Gaston Mayila répondait-elle ? D’autant que 4 ans après 2016, le paysage politique gabonais a sensiblement évolué. Un premier pôle : le PDG et sa majorité en ébullition qui ne tiennent que parce que Ali Bongo Ondimba est toujours à la tête du pays, et, en second pôle, une Coalition Jean Ping en réduction de ses effectifs.
Au centre, deux personnalités politiques qui travaillent à regrouper d’autres forces, René Ndemezo’Obiang de Démocratie Nouvelle avec principalement les signataires des Accords d’Angondje. Et Guy Nzouba Ndama qui s’est éloignée résolument de la « Résistance » dont il fut pourtant l’un des promoteurs et qui co-fonda la Coalition pour la Nouvelle République dirigée par Jean Ping. Aujourd’hui, GNN a fondé sa propre Coalition Démocratique de l’Opposition et est le porte-voix de la PG41.
Depuis la validation par la Cour constitutionnelle du résultat du scrutin du 27 août 2016, que l’on soit pour ou contre, il y a un projet et une démarche que RNO et ses amis ont divulgués : obtenir des avancées démocratiques et républicaines en dialoguant avec le pouvoir en place, avec Ali Bongo Ondimba. Des actes écrits et co-signés du Dialogue d’Angondje en ont été l’émanation. En revanche, le parcours en dents de scie de GNN et de ses proches n’autorise pas une lisibilité franche d’un projet quelconque autour d’autre chose que de la personne de GNN. Dents de scie, oui. Faut-il rappeler que c’est seulement 12 jours avant le scrutin de 2016 qu’ils rejoignent Jean Ping. Et, l’une de leurs premières exigences sera d’écarter les ouvriers de la première heure. Par la suite, ils contribueront à radicaliser le positionnement de ce dernier en le faisant adhérer à « La Résistance », donc au refus de tout dialogue avec le pouvoir. Ce seront pourtant les mêmes qui, méprisants, esseuleront progressivement l’homme. Déjà aux législatives. Et la raillerie dans les propos suivants de Guy Nzouba Ndama est sans équivoque : « Cette bien nommée coalition [entendez : la CNR] est d’abord un agrégat de consciences hétéroclites, lesquelles consciences gagneraient à conserver leurs identités ». Mieux, toujours de Guy Nzouba Ndama : « Nous, nous n’avons jamais cessé de préciser que l’appartenance du parti « Les démocrates » à la coalition n’est pas synonyme d’aliénation de notre liberté de penser et d’expression », Et dans l’entourage de GNN, on ne se retient plus : « En 2023, l’élection se jouera en deux tours, donc je pense qu’une candidature unique de l’opposition n’est pas indispensable », assure un proche de GNN. Pas question, cette fois, de laisser sa place à un autre. Aujourd’hui, la PG41 est, sans le dire, sur la voie d’une exigence de proclamation de la vacance du pouvoir. Tout semble donc indiquer que, du côté de « Les Démocrates », de la CDO, et la PG41, la réconciliation nationale devra se bâtir autour du futur candidat Guy Nzouba Ndama. Comme chez Jean Ping, nous restons dans une logique de réconciliation nationale fondée sur le ralliement à un individu et non à un projet. Nous insistons : Il serait peut-être temps de répondre aussi à la question de savoir autour de quel(s) projet(s) pour le Gabon, si on se réconcilie.
Stéphane MWAMEKA
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