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Crise politique: Quelle transition pour le Gabon ?

Alors que cette problématique est d’actualité au Mali depuis la chute d’Ibrahim Boubacar Keita, concerne-t-elle tout autant le Gabon ? Historiquement oui même si les spécificités diffèrent entre les deux pays et les deux peuples.

En effet, depuis 1990, le processus politique engagé dans notre pays, peut être compris comme le passage progressif d’un Etat rentier non-démocratique à une démocratie qui s’appuie sur une économie de production. En fait, notre pays vit depuis trente ans une transition démocratique… inaboutie et qui fait du surplace. Pour certains analystes, cette transition peut même encore s’étaler sur plusieurs dizaines d’années si les forces en présence au Gabon n’accélèrent pas le processus de transition démocratique ? D’autant que, ce qui, pour d’aucuns, est un écueil majeur, les principaux groupes et acteurs politiques gabonais qui se sont manifestés en trente ans de multipartisme ont, pour l’essentiel, partie liée aux monde et intérêts occidentaux. Dans une toute récente interview accordée à RFI, à l’occasion du 17 août 2020, le Professeur gabonais d’économie Albert Ondo Ossa, répondant à Boisbouvier, donne son analyse de la question.

Pour l’universitaire, Ali Bongo Ondimba et Jean Ping, c’est blanc bonnet, bonnet blanc : « Entre deux maux, il faut trouver le moindre. Et il – entendez Jean Ping – s’est trouvé au bon moment, à la bonne position. À partir de ce moment-là, il a été voté. Mais pour préjuger si véritablement ce changement allait amener moins de corruption, je n’en suis pas sûr, au regard tout simplement de son entourage. Grosso modo, ce sont les anciens hiérarques du Parti démocratique gabonais, ceux-là même qui sont la cause de la détérioration de notre pays, qui se sont retrouvés autour de Jean Ping ». Sarcastique, l’éminent professeur précise qu’ils « ont eu le temps d’amasser leur trésor de guerre et, pour un positionnement, se sont mis dans l’opposition, au point qu’à l’occasion des grandes élections il y a toujours deux grandes figures : une du PDG ancien et une du PDG nouveau ».  Il faut, toutefois, rappeler qu’Albert Ondo Ossa a présidé, en 2016, la très politiquement œcuménique Union Sacrée pour la Patrie (USP) – rivale malheureuse de la très populaire Convention de Jean Ping. Au sein de l’USP, Ondo Ossa côtoyait les Guy Nzouba Ndama, Zacharie Myboto, Casimir Oye Mba, Paulette Missambo, Divungui Di Ding, et autres Chambrier. D’historiques collaborateurs d’Omar Bongo Ondimba. Si Ondo Ossa, lui-même ancien ministre d’OBO – Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur-, n’a pas pu faire autrement que de collaborer avec ces anciens collaborateurs d’OBO c’est que ce sont précisément ces groupes et acteurs politiques qui dominent la vie politique gabonaise pour le moment. Et, en tant que tel, on conçoit aisément qu’ils puissent, à certaines périodes, se révéler être des alliés ponctuels de circonstances – électorales par exemple. Et même stratégiques pour faire avancer la lutte du peuple gabonais pour l’aboutissement de la démocratie dans ce pays. Ce n’est l’ancien Président de l’USP qui nous contredira.

Comprendre la transition

 Une transition démocratique a démarré en 1990 au Gabon. L’Etat rentier et le régime monopartite dirigés par Omar Bongo Ondimba, sous la pression internationale et face à la volonté de changement des Gabonais, ont concédé la tenue d’une Conférence Nationale mais n’y ont concédé que le multipartisme. Une concession politique qui, 5 présidentielles et 6 législatives après, n’a eu que très peu d’impact sur la vie politique gabonaise. Pourquoi ? Parce que l’enjeu est de taille : conserver la maîtrise de l’Etat rentier. En résumé, le multipartisme est arrivé, OBO est parti, mais l’Etat rentier n’a pas bougé d’un iota ni changé de mains. Et cet Etat rentier n’est pas une fiction, il existe bel et bien. La Direction générale du Trésor français, trois ans après l’élection présidentielle de 2016, en janvier 2019, décrivait l’économie du Gabon comme non seulement « Une économie de rente en quête de diversification pour contenir son exposition aux chocs externes », mais également la considérait « historiquement [et] très largement dépendante de l’exploitation de ses ressources naturelles : pétrole, minerai, uranium » dont « La brutale chute des cours du pétrole en 2014 a entrainé une rapide dégradation des comptes publics gabonais…L’ampleur de cet impact, poursuit la DGT française, souligne la vulnérabilité d’un modèle économique ancré, depuis plus d’un demi-siècle, autour de l’industrie pétrolière. » Et, malgré d’importants investissements dans l’industrie agroalimentaire (Olam) ainsi que « L’interdiction d’exporter des grumes en 2009 (et la création concomitante d’une zone franche consacrée à l’industrie du bois) », « ces actions, analyse la DGT, ne sont pas encore de nature à amortir le choc subi par le secteur pétrolier. » Et ceux, d’ici et d’ailleurs, qui détiennent le pouvoir gagneraient à comprendre qu’il est largement temps de changer de paradigmes et de procéder à une refondation progressive mais nécessaire et urgente de l’Etat. Sinon, le risque d’une centrafricanisation du pays est pronosticable.

La Direction générale du Trésor français, institution financière plus que respectable dans l’hexagone, en conclut d’ailleurs que « Fortement déstabilisée par la chute brutale des cours du pétrole en 2014, l’économie gabonaise doit faire face à un défi majeur consistant à changer son modèle traditionnel, fortement ancré autour du secteur pétrolier. » Tout est dit. Ce qui laisse entendre que le chantier de la transition au Gabon, entamé en 1990, ne saurait se limiter à l’octroi et à l’exercice d’un multipartisme mutilé qui s’interdit d’envisager toute réforme de l’Etat-rentier bien souvent laissé à la merci de prédateurs sans foi ni loi, et de braqueurs de deniers publics comme la légion étrangère ou le groupe BLA nous l’ont montré grandeur nature.

Quelle transition ?

Pour l’économiste Ondo Ossa, c’est tout trouvé. Ce qu’il faudrait au Gabon c’est « un modèle nouveau qui repose sur de nouvelles personnalités, des nouvelles figures qui apparaissent crédibles et qui n’ont pas eu à tremper dans toute la gabegie qui s’est passé au cours des 60 dernières années ». Mais n’est-ce pas utopique ou encore une mission impossible dans l’état actuel de la classe politique au sein de laquelle, alors lui-même ministre d’OBO, Ondo Ossa a pu – nous le citons – : « tenir trois ans dans un monde […] autant hostile qu’étrange. Par la force des choses, nous avons cheminé ensemble. Nous nous sommes parfois heurtés et bien souvent accordés. En définitive, je garde un bon souvenir des moments passés et de nombreux collègues qui ont fini par me comprendre et même par m’adopter. » Autrement dit, le politique devenu fait attention à ne jeter que l’eau sale, et se considère même comme héritier du passé : « Chers compatriotes, je voudrais vous inviter à nourrir de nouvelles ambitions, car l’occasion nous est enfin donnée de regarder tous dans la même direction et de nous assumer. Nous avons en partage un héritage auquel nous avons tous pris part, les uns pour l’avoir orchestré et les autres pour l’avoir accepté (activement ou passivement). »  Et de conclure : « C’est fort de tels enseignements que je prends aujourd’hui la décision de me porter candidat à la présente élection présidentielle, car notre population mérite mieux, notre pays mérite mieux. (28 juillet 2009) »

Mais une transition gabonaise peut-elle se réduire au seul rassemblement de « nouvelles personnalités, des nouvelles figures qui apparaissent crédibles et qui n’ont pas eu à tremper dans toute la gabegie qui s’est passé au cours des 60 dernières années » ou à la seule participation à une élection présidentielle ? Certes, il n’existe pas de recettes miracles pour réussir une transition démocratique. Toutefois, cette dernière doit être une réponse aux attentes spécifiques et concrètes d’une société, non de messies ou d’un candidat à la présidentielle.

La démocratie doit permettre la manifestation des divers intérêts politiques en présence, ouvrant l’expression à tous les acteurs et permettant l’atteinte d’un haut niveau de consensus. L’ouverture du système politique constitue donc un enjeu capital dans le cadre de la consolidation de la démocratie d’un pays.

                                                         Stéphane MWAMEKA

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