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Gabon : Ping en 2016, le fruit d’une synergie intercommunautaire

2016 et les deux années qui l’ont précédé furent, il faut bien se l’avouer, une campagne ethnique qui ne disait pas son nom. Autour d’un thème qui ne mâchait pas ses mots : ne votons pas un membre de notre communauté ethnolinguistique ! Votons le Nkomi Jean Ping ! Les promoteurs de cet axe politique de campagne électorale sont connus : René Ndemezo’Obiang, Jean EyegheNdong, Pierre AmougheMba, et Vincent Essono Mengue.

Menée activement au sein de la communauté fang dont le poids démographique impacte nécessairement le résultat des urnes, cette ligne a rapidement gagné les provinces du Woleu-Ntem, de l’Estuaire, de l’Ogooué-Maritime, du Moyen-Ogooué, de la Ngounié, de la Nyanga et touché également celle de l’Ogooué-Ivindo, de l’Ogooué-Lolo, et du Haut-Ogooué. Cela s’est ressenti au soir du 27 août 2016. L’étendue des violentes protestations suite aux résultats annoncés, quatre jours après, par le ministre de l’Intérieur de l’époque donne une indication de l’ampleur de la contestation. Tant au plan national qu’à l’international. La répression qui s’ensuivit fut à la hauteur de la colère populaire. Répression, elle-même, suivie d’un silence international qui, bien que sensiblement moins assourdissant que les années précédentes, finit, à terme, par acquiescer la validation du maintien d’Ali Bongo Ondimba à la tête du pays. Epilogue : le 24 septembre 2016, Ali Bongo est proclamé vainqueur par la Cour constitutionnelle avec 50,66 % des voix, suivi de Jean Ping avec 47,24 % des suffrages. On vous la fait courte : c’est connu.

Ce qui retient en fait notre attention ici est de bien cerner le contenu des urnes. Qu’y trouve-t-on quant au fond ? Au fond de ces urnes, il y le fait indéniable que l’ensemble des citoyens membres des différentes communautés ethnolinguistiques de notre pays a décidé de voter quelqu’un d’autre que le (les) membre (s) candidat (s) issu (s) de sa (leur) communauté respective. Le tableau officiel des premiers résultats ci-dessous est riche d’enseignements quant aux choix non exclusivement communautaristes des votants gabonais, en 2016 :

 

Premiers résultats officiels

Candidats    Partis Votes %

Ali Bongo

Parti démocratique gabonais

177 722         49,80

Jean Ping

(Myene de l’Ogooué-Maritime)            Front uni de l’opposition pour l’alternance

172 128         48,23

Bruno Ben Moubamba

(Punu de la Nyanga)        Union du peuple gabonais

1 896  0,53

Raymond Ndong Sima

(Fang du Woleu -Ntem)  Indépendant

1 510  0,42

Pierre Claver MagangaMoussavou

(Punu de la Ngounié)       Parti social-démocrate

1 130  0,32

Paul MbaAbessole

(Fang de l’Estuaire)          Rassemblement pour le Gabon

761     0,21

Gérard Ella Nguema

(Fang de l’Estuaire)          Union nationale

583     0,16

Augustin Moussavou King

(Punu de la Ngounié)       Parti socialiste gabonais

553     0,15

Dieudonné MinlamaMintogo

(Fang du Woleu-Ntem)   Convention nationale de l’Interposition

393     0,11

Abel MbombeNzoudou

(Massango de la Ngounié)          Indépendant

214     0,06

 

Par province, en pourcentage, ça a donné :

 

  1. Estuaire : 60,88% pour Jean Ping et 37,33% pour ABO
  2. Moyen-Ogooué : 66,68% pour Jean Ping et 30,51% pour ABO
  3. Ngounié : 53,76% pour Jean Ping et 41,76% pour ABO
  4. Nyanga : 52,08% pour Jean Ping et 44,07% pour ABO
  5. Ogooué-Maritime : 68,26% pour Jean Ping et 29,67% pour ABO
  6. Woleu-Ntem : 72,9% pour Jean Ping et 24,81% pour ABO
  7. Diaspora : 58,35% pour Jean Ping et 37,38% pour ABO

 

Autrement dit, les Gabonais, issus de différentes ethnies ont décidé, en leur âme et conscience de voter le Nkomi Jean Ping. Et non l’un des leurs, communautairement parlant. C’est là un fait politique qui a marqué cette campagne électorale au Gabon et qui mérite d’être relevé. 2016 a été, comme les chiffres plus haut le montrent, le fruit d’une campagne volontairement anti-tribaliste, anti-repli identitaire au sein de la communauté fang. C’est vrai, pas seulement. Mais il faut tout de même le souligner car, dans tout ça, le renoncement de cette communauté à soutenir l’un des siens comme en 1993 et en 2009 est le fait marquant de la campagne de 2016. Cela a donné un tour particulier à la question ethnique dans notre pays. C’était la démonstration que cette question pouvait donc être traitée autrement qu’elle ne l’avait été tout au long du demi-siècle qui venait de s’écouler. Et, au cours de la dernière présidentielle, le rassemblement multicommunautaire autour de Jean Ping a dévoilé qu’au fond de chaque Gabonais gisent de bonnes choses. Non seulement une forte volonté d’alternance mais également une disposition d’esprit à coopérer avec l’autre pour y parvenir. C’est ce qu’il s’est passé à la faveur de Jean Ping. Mais, pour qu’il en fût ainsi, encore eut-il fallu que l’on exploitât ces « gisements-là ». Et, ceux qui ont mis la main à la pâte et se sont munis de « pipettes, batées, tamis, pelles, de tournevis et de seaux » pour exploiter cette « mine » de voix sont indubitablement : René Ndemezo’Obiang, Jean EyegheNdong, feu Pierre AmougheMba, et Vincent Essono Mengue qui ont fait de la tournée provinciale de Jean Ping dans le Woleu-Ntem un moment décisif et historique de coopération intercommunautaire. Au fil du temps, on semble de plus en plus ne retenir que le « moment » – le 27 août 2016 – de la victoire de Jean Ping dans les urnes comme si elle n’avait été que le fruit du « moment » des désistements du 16 août 2016 et non de ce long « moment », de 2014 à 2016, qui a permis l’édification de cette coopération intercommunautaire qui a rendu Ping incontournable et contraint justement ses concurrents aux désistements…à 12 jours du scrutin. Et à quel prix ?

Pendant près de 50 ans, les Gabonais ont stagné et se sont « affrontés » dans une compétition irrégulière et inféconde organisée par le système en place au sein des administrations publiques, parapubliques, « privées », civile et militaires. Hier, Omar Bongo Ondimba, en « homme de paix » arbitrait en dernière instance ces « conflits » auxquels il est difficile de penser qu’il était étranger. Aujourd’hui, Ali Bongo Ondimba paraît, lui, débordé. Et de toute évidence, il l’a été en 2016. Parce que bousculé, cette année-là, par une nouvelle logique, une nouvelle géopolitique, celle de la coopération intercommunautaire bâtie autour de la candidature de Jean Ping.

A la différence de ce qui s’est toujours fait jusqu’ici : l’instrumentalisation – officieuse, bien évidemment – des ethnies dans un pays découpé – officieuse, bien évidemment – en ethnies souveraines, alliées, intermédiaires et ennemies. Et cette géopolitique-là est de nos jours encore dominante. C’est en fait elle qui a été bousculée en 2016. Il faudrait peut-être en tirer les leçons. Répondant à une question de notre confrère « Le Mbandja » concernant « la situation actuelle du Gabon », Jean EyegheNdong a répondu ceci : « Le Gabon politique reste marqué par la grave et sanglante crise post-électorale qui bloque le pays depuis 2016 à cause de l’inique décision de la Cour constitutionnelle qui a attribué la victoire de Jean Ping à Ali Bongo ». N’est-ce pas réducteur, extrêmement réducteur, de borner l’analyse de « la situation actuelle du Gabon » à « l’inique décision de la CC » qui a ravi « la victoire » à Jean Ping ? En effet, les raisons qui poussèrent ce dernier à sortir des rangs du Parti Démocratique Gabonais, en 2014, exprimaient bien le fait que les problèmes gabonais dataient d’avant 2016. Et avant Ali Bongo Ondimba, se sont écoulés 42 ans de bongoïsmeomarien dont le bras séculier était son officieuse géopolitique ? Ne constitue-t-elle pas toujours un des fondements de « la situation actuelle du Gabon » ? Il faut bien l’avouer : peu de nos hommes politiques gabonais osent s’aventurer sur ce terrain… Or, tout le monde en convient, les niveaux de popularité atteints par Jean Ping en 2016 sont le fruit de démarches intercommunautaires sur lesquelles, curieusement, dans son ITW accordée à « Le Mbandja », la semaine dernière, Jean Eyeghe a préféré faire l’impasse. Alors qu’il en fut l’un des acteurs essentiels.

Stéphane MWAMEKA

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